mardi, avril 23, 2024

Amazon, Airbnb, Google… La stratégie d’acquisition à part des plates-formes

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L’avènement d’Internet a permis l’émergence de plates-formes numériques de type Uber ou Airbnb, qui servent d’intermédiaires entre les fournisseurs et les consommateurs. Ces dernières sont de plus en plus nombreuses. Ce succès résulte principalement de l’effet réseau : la plate-forme qui recense le plus large panel de fournisseurs sera celle qui attirera le plus grand nombre de clients et vice-versa.

Un aspect de la stratégie de croissance de ces plates-formes a été peu étudié : celui du rôle des acquisitions d’autres entreprises. Par conséquent, on appréhende mal la manière dont ces plates-formes utilisent les acquisitions ou les différences qu’il peut exister avec les stratégies d’acquisition des entreprises qui n’en sont pas.

Dans le cadre de notre recherche, (à paraître dans la revue MIS Quarterly) nous nous sommes donc penchés sur la stratégie d’acquisition des plates-formes. Nous avons cherché à identifier « à quel moment » ces sociétés procèdent aux acquisitions et « quels types » d’entreprises ont leur faveur. Pour cela, nous nous sommes concentrés sur les types d’acquisitions qui sont effectuées peu de temps après la création d’une entreprise puis tout au long sa progression jusqu’à maturité.

Nous avons ainsi passé en revue – grâce aux données issues de la base de données CrunchBase – 3 062 acquisitions réalisées par des entreprises du digital, nées à partir de l’année 2000, que nous avons comparées aux acquisitions des entreprises hors plates-formes.

Acquérir plus tôt et dans le même secteur

Tout d’abord, en vue d’exploiter au mieux l’effet réseau, les plates-formes en acquièrent d’autres pour consolider leur portefeuille clients et leur base de fournisseurs.

Il existe de nombreux exemples, en ce sens, de plates-formes dont la stratégie de croissance consiste à en acquérir d’autres qui sont majeures. C’est ainsi que Airbnb a acquis un certain nombre de sociétés en ligne de « location de particuliers » similaires dès ses débuts, afin de rapatrier leurs fournisseurs (loueurs) sur leur propre plate-forme. De la même manière, Match.com, un des principaux sites de rencontre en ligne, a fait l’acquisition de plus de 24 autres applications identiques.https://www.youtube.com/embed/6ckYsr7Pc3M?wmode=transparent&start=0Comprendre les effets de réseau (Xerfi canal, 2018).

Notre première hypothèse tend ainsi à démontrer qu’il est probable que les sociétés plates-formes procèdent à leurs acquisitions plus tôt que les autres. De manière empirique, ceci implique que l’âge de ces sociétés (en années depuis leurs créations) au moment où elles procèdent à leurs premières acquisitions, serait plus bas que celui des entreprises hors plates-formes.

D’après nos résultats, les plates-formes réalisent en moyenne leur première acquisition 3,6 ans après leur création, alors que les sociétés hors plates-formes elles, réalisent leur première acquisition en moyenne 5,5 ans après avoir vu le jour.

Conserver son pouvoir d’attraction

L’une des caractéristiques notables de la concurrence dans l’économie numérique est celle du « gagnant remporte tout » (winner takes all) selon laquelle les plates-formes qui réussissent sur leur marché tendent à figurer comme seul leader au bout d’un certain temps.

Par conséquent, une fois que ces entreprises sont parvenues à maturité, il est possible que le nombre de sociétés de plates-formes à acquérir sur la même niche de marché soit moins important, et que les bénéfices résultant de l’acquisition soient moindres.

Cela signifie qu’à mesure que les plates-formes gagnent en maturité, elles sont moins susceptibles d’acquérir d’autres entreprises de plates-formes dans la même niche de marché. En parallèle, il se peut que les sociétés de plates-formes souhaitent moins acquérir des entreprises situées sur le même créneau car ces actions limiteraient au bout d’un certain temps leur capacité d’accroissement, ainsi que leur pouvoir d’attraction sur les fournisseurs et les clients.

Ainsi, comme le suggèrent les exemples de Google lors du lancement de ses applications au sein du marché Android, ou d’Amazon en compétition avec ses propres revendeurs, déplacer la plate-forme vers le cœur de marché, en générant de nouvelles concurrences, peut dissuader certains fournisseurs de la rejoindre. De la même manière, après le rachat d’Instagram par Facebook en 2012, la croissance de la base d’utilisateurs du premier s’est réalisée au détriment de petites applications tierces dans l’écosystème de partage de photos de Facebook.

Nos résultats indiquent donc qu’il est probable que les plates-formes procèdent à des acquisitions de sociétés opérant sur la même niche de marché tôt dans leur existence, puis qu’elles effectuent l’acquisition de sociétés opérant sur d’autres niches de marché une fois matures.

Ceci semble mettre en avant la nécessité de considérer, lors de futurs travaux de recherche, les enjeux auxquels les plates-formes font face pour maintenir l’équilibre entre « intermédiation » et « contrôle », plutôt que d’intervenir en tant que pure intermédiaire, car elles ont souvent besoin de garder le contrôle d’autres sociétés au sein de leur écosystème.

Il apparaît donc nécessaire de continuer les travaux de recherche pour mieux comprendre les différentes façons dont les sociétés réalisent leurs acquisitions, et les raisons pour lesquelles elles le font.


Cette contribution s’appuie sur l’article de recherche « When and Who Do Platform Companies Acquire ? Understanding the Role of Acquisitions in the Growth of Platform Companies » de Milan Miric, Margherita Pagani, et Omar A. El Sawy à paraître dans la revue MIS Quarterly.

Thibault Lieurade

Publié dans theconversation