vendredi, avril 19, 2024

Ecolage, transport, restauration, cours de renforcement : Le fardeau de la cherté des études dans le privé

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De plus en plus de parents d’élèves se plaignent de la cherté des services offerts par les écoles privées. A leur avis, toute une stratégie est mise en œuvre pour leur soutirer de l’argent. Ils invitent l’Etat à intervenir pour réguler le secteur.

A la zone de captage à Castors près de la station-service, la librairie du coin ne désemplit pas en cette matinée d’octobre. Moustapha, la mine sévère, en ressort, tenant un sachet rempli de fournitures scolaires. Interrogé, il lance : « où allons-nous avec ce coût de plus en plus élevé de l’école sénégalaise ». Il renseigne avoir dépensé pour les fournitures près de 75.000 FCfa pour ses trois enfants qui sont inscrits dans une école privée à Castors. A cela, précise-t-il, s’ajoutent les frais d’écolage qui s’élèvent à 25.000 FCfa par mois et par enfant. « Je dépense 150.000 FCfa par mois pour mes trois enfants en termes de frais d’écolage, de cantine, de transport ainsi que les cours de renforcement et l’initiation à l’informatique », souligne Moustapha qui dit travailler comme agent commercial dans une multinationale. Le quinquagénaire trouve qu’il y a trop de charges mises sur le dos des parents d’élèves.

Une dame qui écoutait notre conversation s’en mêle. « Le privé est devenu un gouffre pour de nombreux parents d’élèves. C’est devenu trop cher. On nous impose même des cours de renforcement à payer », déplore Salimata Sall, agent de la Fonction publique. Trouvé à la zone de captage, Adama Sarr pense que l’Etat doit intervenir pour mettre de l’ordre dans l’enseignement privé car la cherté des prestations est en train de ruiner les parents. « Il y a toute sorte de stratégies pour soutirer plus d’argent aux parents. Les frais d’écolage sont très élevés. Il y a les cours de renforcement, l’initiation à l’informatique et en anglais », déplore M. Sarr, qui travaille dans les télécoms. Son fils de 12 ans étudie dans une école privée au Mariste avec des frais d’écolage de 70.000 FCfa par mois. « La cantine me revient aussi à 15.000 FCfa et le transport à 10.000 », détaille le quadragénaire. Selon ce dernier, l’établissement demande également de payer pour des cours de renforcement et d’initiation à l’informatique. En face de l’agence Senelec de Jaxaay, Ami tient une gargote très fréquentée le matin. Elle, par contre, elle a retiré, cette année, ses quatre enfants du privé pour le public. « Mes enfants ont toujours étudié dans le privé mais cette année, je les ai inscrits dans le public car la charge était lourde pour moi », témoigne la dame qui ajoute se battre seule pour sa famille car son mari ne travaille pas. Autre problème qu’elle soulève : il n’y a pas suffisamment d’écoles publiques dans cette zone du nouveau département de Keur Massar, ce qui place les parents pauvres dans des difficultés.

Ses récriminations n’épargnent pas le public, devenu cher à son avis. Prenant son petit déjeuner dans la gargote, Amadou Diop, le vieux maçon, évoque avec nostalgie les années où tout était gratuit à l’école. « Avant, le gouvernement donnait toutes les fournitures. Ce n’est plus le cas maintenant. Le public est cher et le privé est réservé aux riches », déplore M. Diop. Mme Fam, habitante de Almadies 2, a inscrit ses deux filles dans le privé. L’une est en classe de sixième et la plus petite au Ci. La dame confie n’avoir pas jusqu’à présent pas fini de payer les fournitures (en octobre). « J’ai privilégié le paiement des droits d’inscription. Pour le reste comme les fournitures, je paie par étapes », déplore la mère de famille. Agent de sécurité de proximité, Tounkan Faty au cours d’une discussion entre voisins dans la Cité Yacine Immo (Almadies 2) révèle que la scolarité de sa fille inscrite dans le privé lui coûte 25.000 FCfa par mois. Un montant qu’il juge élevé.

ACCUSES D’ETRE PREOCCUPES QUE PAR LE PROFIT

Des responsables du privé indexent le coût élevé de la vie

Si beaucoup de parents soutiennent que l’enseignement privé est devenu très cher, les responsables des établissements disent le contraire. Ils affirment même faire du social pour permettre à certains élèves d’accéder à l’éducation.

Trouvé dans son établissement privé, Lamane Ndiaye soutient avec force que l’enseignement privé n’est pas cher, mais ce sont plutôt les charges d’exploitation qui sont élevées. « Rien que la semaine dernière, j’ai dépensé plus de 400.000 FCFa pour les charges », renseigne le Directeur de Abs. Pour les frais de transport, notre interlocuteur relativise. « C’est dû au fait que certains élèves habitent loin. Et les établissements sont obligés de chercher des cars de transport et recruter des chauffeurs », explique M. Ndiaye. « L’élève paie 10.000 FCFa par mois pour le transport. La cantine est aussi à 10.000. La mensualité varie entre 15 000 et 18.000 », détaille ce retraité qui a fait plus de 38 ans de service dans le public. Selon lui, dans son établissement, le chauffeur est rémunéré à hauteur de 100.000 par mois. Sans oublier le salaire des enseignants et le loyer des locaux. « Je peux dire que nous faisons du social car certains enfants issus de familles démunies ne paient pas. En plus, les élèves dont les parents interviennent dans l’école ont soit une réduction soit une gratuité », a fait savoir le Directeur de Abs.

Aux Cours privés Almadies 2, le Censeur, Abdoulaye Ndiaye pense aussi que le privé n’est pas cher. « Les écoles privées fonctionnent sur la base du paiement des écolages », a indiqué M. Ndiaye. En classe de sixième, dit-il, on peut compter au moins 9 à 10 professeurs à payer. Cela a un coût. En plus, il y a l’équipement, l’électricité, l’eau, le loyer, explique M. Ndiaye avant d’attirer l’attention sur le fait que « c’est grâce aux frais de scolarité que les écoles privées arrivent à fonctionner ».

Le problème, dit-il, se situe au niveau du pouvoir d’achat des ménages. « Au Sénégal, la majorité de la population a juste de quoi vivre », note le Censeur de Almadies 2. « Nous faisons du social. Il y a même des tarifs préférentiels qui sont octroyés à certains parents d’élèves », confie M. Ndiaye.

Intervenant dans une école privée, M. Dièye souligne que les frais d’écolage ne sont pas élevés comme le pensent certains. « Mais si on y ajoute les charges (transport, cantine), le montant grimpe », reconnaît-il.

Les responsables de ces établissements demandent l’accompagnement de l’Etat par l’octroi d’une subvention. « L’école privée est le parent pauvre du système éducatif. L’Etat doit nous aider, nous subventionner », demande Abdoulaye Ndiaye. « L’Etat met beaucoup de moyens dans le public. Il doit penser au privé », renchérit Lamane Ndiaye.

Faute de moyens, certains établissements ferment

Dans le privé, si certains établissements parviennent à s’en sortir, d’autres, par contre, à cause du manque de moyens conséquents et d’effectifs, finissent par fermer. Mme Diop, gérante d’une école privée à Jaaxaay, a été obligée de fermer son établissement pour non rentabilité. « Les effectifs des élèves étaient faibles alors que les charges sont là », explique la dame.

Le groupe scolaire, « Plateau de l’excellence » aux Parcelles Assainies de Keur Massar, a également mis la clé sous le paillasson pour non rentabilité et manque de moyens. « Nous avons perdu beaucoup d’élèves. Alors qu’on doit payer la location, les enseignants et d’autres charges », fait savoir M. Dièye, le Président du Gie à l’origine de la création du groupe scolaire « Plateau de l’excellence ». Il a ajouté que son établissement ne recevait pas de subvention. « L’établissement avait une autorisation. Mais pour avoir une subvention, il faut une reconnaissance de l’Etat », explique l’enseignant qui déplore également la prolifération des écoles privées.

L’EQUATION DU STATUT

Une subvention étatique limitée aux écoles reconnues

Le chef de la division de l’enseignement privé (Dep) au ministère de l’Education nationale (Men) appelle au respect des textes régissant ce secteur. Pour bénéficier d’une subvention de l’Etat, l’établissement doit être reconnu, explique Mouhamadou Moustapha Diagne, Directeur de la Formation et de la Communication au ministère. Seules 2207 écoles sont reconnues.

Selon le Directeur de la Formation et de la Communication au ministère, « seules les écoles privées reconnues bénéficient de la subvention de l’Etat ». Une commission travaille en toute transparence sur la question et soumet les propositions concernant les écoles retenues à l’Etat, ajoute-t-il. « Maintenant, si un déclarant responsable pense avoir été lésé ou omis, des voies de recours existent », fait-il savoir.

« Sur la cherté du coût des services offerts par le privé, se référant aux textes réglementaires qui régissent le fonctionnement de l’enseignement privé, la fixation des droits de scolarité et tout ce qui a trait aux frais d’écolage est du ressort des déclarants responsables », explique le Chef de la Division Enseignement privé au ministère de l’Education nationale.  Il rappelle que ces derniers sont obligés de respecter scrupuleusement les engagements pris auprès des autorités étatiques et de se conformer à la réglementation en vigueur. M. Diop de révéler qu’à ce jour, il y a 2207 écoles privées reconnues tous cycles et statuts confondus dont 487 autorisées. Selon lui, il y a une différence entre une école autorisée et une reconnue. « Une école privée est autorisée par arrêté du ministère de l’Education nationale, à la suite d’une procédure administrative qui suit le dépôt du dossier de demande d’autorisation d’ouverture », explique l’Inspecteur Mamadou Diop.

Par contre, poursuit-il, la reconnaissance d’une école privée est accordée par décret du Président de la République, suivant une procédure administrative allant de la candidature jusqu’à l’admission, en passant par les enquêtes pédagogiques et administratives. « Pour être candidate à la reconnaissance, l’école doit avoir une ancienneté d’au moins deux ans, à partir de la date de l’obtention de l’arrêté d’ouverture », précise Mamadou Diop.

MOUHAMADOU MOUSTAPHA DIAGNE, DIRECTEUR DE LA FORMATION ET DE LA COMMUNICATION AU MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE

« Des assises de l’enseignement privé sont prévus pour réguler le secteur »

Des assises sur l’enseignement privé sont dans l’agenda du ministère de l’Education nationale pour réguler le secteur. L’annonce est de Mouhamadou Moustapha Diagne, Directeur de la Formation et de la Communication. Dans cet entretien, M. Diagne revient sur le coût élevé des prestations dans le privé et invite celui-ci à mieux s’organiser pour éviter la pression financière.

Beaucoup de Sénégalais pensent que le coût de l’éducation est devenu cher, surtout dans le privé. Qu’en pensez-vous ?

En vérité, c’est le coût de la vie qui est devenu cher et qui a impacté les charges d’éducation des enfants. En quelques années, les prix des matériels et fournitures scolaires ont doublé. Les écoles peinent à prendre en charge correctement leur fonctionnement à cause des gros effectifs. Il faut relever que pour les écoles publiques, les frais d’inscription sont limités à 10.000 FCfa dans le moyen secondaire par le ministère de l’Education. Ces frais n’existent pas dans l’élémentaire où les parents d’élèves s’organisent en coopératives pour soutenir l’école. L’Etat met 26% de son budget dans le secteur de l’éducation. Cependant nulle part au monde, il n’existe une gratuité totale de l’éducation à ma connaissance.

Dans le passé, le gouvernement, à travers le ministère de l’Education nationale, octroyait des fournitures. Maintenant, ce n’est plus le cas. Cette charge est déolue aux collectivités territoriales. Comment expliquez-vous cela ?

Le ministère de l’Education nationale, conformément à l’acte 3 de la décentralisation, transfère 15% de son budget aux collectivités territoriales. Ces dernières doivent consentir plus d’efforts dans la gestion des établissements et l’appui qu’elles doivent leur apporter impérativement.

Quelle est la part du privé dans le système éducatif sénégalais ?

Officiellement, il existe plus de 2000 écoles privées au Sénégal fréquentées par un peu plus de 1.500.000 élèves. Cependant, on note beaucoup d’écoles qui fonctionnent sans autorisation.

Dans le privé, les parents parlent de frais exorbitants. Que peut faire le ministère de l’Education pour revoir à la baisse les prestations ?

Le ministre Mamadou Talla prévoit dans son agenda d’organiser les assises de l’enseignement privé pour réguler le secteur. L’offre éducative dans le privé sera revue et des décisions importantes prises. C’est vrai qu’il y a trop de frais opportunistes qui y sont notées. Les parents qui ont leurs enfants dans ces écoles privées doivent mieux s’organiser pour ne pas subir cette pression financière. Cependant, il faut souligner qu’il y a beaucoup d’écoles privées qui sont aux normes et qui ne s’adonnent pas à de telles pratiques

Est-ce qu’il ne faut pas aller vers une harmonisation des frais dans le système notamment avec les acteurs du privé ?

Les frais liés à l’inscription sont bien règlementés dans le secteur public. Dans le privé, le parent est libre de choisir une école en fonction de ses moyens. L’objectif du ministère de l’Education nationale est de travailler à faire revenir la qualité dans l’école publique pour qu’elle retrouve davantage la confiance des parents. C’est pourquoi, le ministre Mamadou Talla s’est donné pour priorité un climat social apaisé, un accès équitable, une qualité garantie qui conditionne le retour à une école publique attrayante.

Est-ce que l’Etat, en tant que régulateur, ne dispose pas de mécanismes pour sévir par rapport à certaines pratiques dans le système tel que le paiement du mois de juillet alors que les enseignements-apprentissages s’arrêtent parfois en juin ?

A ce niveau, il faut signaler qu’il y a un contrat qui lie le parent d’élève au déclarant responsable de l’école privée. L’Etat n’a pas à sévir si les deux parties acceptent les termes du contrat avant que l’enfant n’intègre l’établissement.

Par Aliou KANDE, Le Soleil