vendredi, mars 29, 2024

Mathématiques et spécificités culturelles, l’exemple de la numération

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Les nombres font partie de notre vie. Nous les utilisons pour dénombrer, mesurer, comparer, estimer, décider, coder, etc.

Les nombres sont représentés au fil des siècles de différentes manières. D’ailleurs certaines représentations sont célèbres comme les chiffres romains, la représentation décimale, la représentation binaire, etc.
Les chiffres romains : I, V, X, C, M, etc.. Ils sont souvent utilisés pour représenter des siècles. Cependant ils sont de moins en moins utilisés.
La représentation décimale ou arabe des nombres, car ce sont les arabes qui l’ont inventée, est la plus utilisée :
0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 100, 1000, 1 000 000, etc.
Les nombres sont rangés en unités, dizaines, centaines, milliers, etc. Ainsi le nombre 793 est composé de sept (7) centaines, de neuf (9) dizaines et de trois (3) unités.
Nous voyons apparaître 0 (zéro) qui fut une invention de l’Inde au cinquième siècle. C’est un saut intellectuel, un niveau d’abstraction exceptionnel qu’à cette époque pouvoir représenter ce qui n’existe pas, remplacer ce qui est vide par un nombre, etc. Le commun des mortels dira pour un enclos abritant des vaches lorsque celles-ci sont toutes parties que l’enclos est vide, pour quantifier cette situation nous pouvons dire que l’enclos contient zéro vache. Le zéro permet aussi de combler les places vides dans la représentation d’un nombre. Le nombre sept cent trois est égal à sept centaines, zéro dizaines et trois unités d’où sa représentation par 703.
La représentation binaire des nombres est la représentation que le mathématicien britannique Boole a popularisé et qui d’ailleurs porte son nom. Cette représentation des nombres par un (1) et zéro (0) a permis de relier l’électronique à l’informatique et vice-versa. Le un (1) symbolisant le passage du courant et le zéro (0) le non passage du courant. Tous les nombres peuvent avoir une représentation binaire ainsi 2 est égal à 1×2 + 0 donc 2 se représente par 10; 7 est égal à 1x2x2 + 1×2+1 d’où 7 s’écrit en représentation binaire : 111.

Quelle est la représentation binaire de 57, de 342 ?
Nous avons la chance d’avoir au moins cinq langues qui ont la même manière de dire les nombres : wolof, pulaar, séeréer, joola et jaaxanke. Ces langues utilisent le « cinq » comme pivot. Comparons le français, le wolof et le pulaar

Entre six et neuf le wolof et le pulaar construisent les nombres en utilisant le nombre cinq et les nombres un, deux, trois , quatre selon le cas.
Cette occurrence du cinq fait commettre à beaucoup de personnes, y compris des enseignants de mathématiques, l’erreur de dire que nos langues nationales sont de base cinq. Être de base cinq signifierait que le cinq jouerait le même rôle que le dix dans la numération décimale et le deux dans la numération binaire. En fait en dehors de cette particularité nous disons les nombres comme dans la représentation décimale dans laquelle dix ( fukk en wolof, sappo en pulaar) jouent le même rôle.
Un enfant wolof, peul, séeréer, joola et jaaxanke qui apprend dans sa langue les nombres jusqu’à cinq, lorsque l’enseignant passe au nombre six, naturellement ses enfants vont joyeusement anticiper et proposer au maître d’écrire six avec deux chiffres : 51. En numération décimale cette représentation se lit cinquante et un.

Pourtant cette manière d’écrire le nombre en conformité avec notre manière de le dire est mathématiquement licite.
Cependant si l’enseignant n’est pas bien formé, c’està dire, s’il n’a pas été formé ou sensibilisé sur la numération en langue nationale, il peut avoir tendance à freiner ou même à rabrouer ses élèves téméraires alors qu’ils ont raison. En fait ce passage du cinq au six est très sensible, il peut constituer pour certains enfants un blocage inconscient devant la difficulté d’un nombre qu’ils peuvent représenter de manière évidente, naturelle par deux chiffres alors qu’on leur propose un seul chiffre 6 qui n’a pas une signification visuelle ou intuitive par rapport au nombre qu’il représente.
Lors de mes cours d’analyse de première année à l’Université je donnais la représentation des nombres en langue nationale à la suite de la représentation décimale des nombres et la manière de faire les opérations (addition, soustraction) avec ces nombres. Durant cette partie du cours les étudiantes et les étudiants étaient enthousiastes. Ils s’y retrouvaient avec beaucoup de facilité.

Les mathématiques sont universelles cependant la manière de faire les mathématiques, la manière de les enseigner et même la manière de les assimiler peut être enveloppée de culture locale.

Dakar, le vendredi 22 avril 2022
Mary Teuw Niane