vendredi, mai 3, 2024

Les Inspections générales et des lanceurs d’alerte. Leçons apprises d’expériences comparées

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« …. Les efforts d’éducation et de sensibilisation contribueront à garantir que les lanceurs d’alerte soient habilités à faire des divulgations licites, et que ces divulgations continueront de contribuer aux efforts des Bureau des Inspecteurs généraux à réduire le gaspillage et à améliorer les programmes gouvernementaux. CIGE (Conseil des Inspecteurs généraux pour l’Efficience et l’Intégrité – USA)

1. Contextualisation

Le concept de lanceurs d’alerte consacre de très bons principes de surveillance des mauvaises conduites pouvant survenir au sein des organisations publics et privés, voire de gouvernement en général. Il existe de nombreux modèles selon les systèmes juridiques en vigueur et selon les pays , mais aussi des tentatives de normalisation à l’échelle internationale ; ce sont là des aspects importants sur lesquels nous nous proposons de revenir nourris par notre expérience d’Inspecteur général d’Etat sénégalais, membre de l’Association des Inspecteurs généraux des Etats Unis et « Scholar Visitor » sur des thèmes de vérification les plus variés. Ce modèle à des originalités que nous présentons, lesquelles peuvent enrichir les débats entamés dans ce pays. Aussi, c’est normal, existe-t-il des spécificités entre les modèles et législations, par exemple européens ou américains, etc. A cet égard, pour le Sénégal et les africains en général, le défi demeure de penser par eux-mêmes et pour eux-mêmes ; adapter et non adopter. Cela peut s’avérer difficile sans une recherche plurielle et décomplexée nourrie par l’expérience du terrain, des faits et des réalités.

Au total, une opérationnalisation efficace et pertinente d’un système de whistleblowing (lanceurs d’alerte) invite à prendre en compte plusieurs exigences. Cependant, nous avons délibérément réservé les développements de cet article à l’exemple américain et à cet égard, aux relations étroites qui existent entre le système d’Inspection générale et celui des whistleblowers (lanceurs d’alerte.) En conséquence, cet article traite des relations entre les bureaux des Inspecteurs généraux aux Etats Unis et les whistleblowers communément appelés « Lanceurs d’alerte » dans le monde francophone.

Aux Etats Unis, une loi de 1978 modifiée institue des Inspections générales dont l’Inspection générale fédérale, des Inspections générales par départements, parfois par secteurs, thèmes, ou domaines (grands travaux, ponts et chaussées, aide étrangère, etc.), parfois même temporaires (Inspection générale pour la surveillance de la crise bancaire dite Bail out, Inspection générale pour la Guerre d’Irak, les travaux de reconstruction des Twin Towers avec des particularités, fonds spéciaux, etc.). Ces Inspections générales sont créées aussi bien au niveau de la branche législative que de la branche exécutive. Le terme consacré est « bureau de l’Inspecteur général » consacrant là une autorité indépendante en charge de missions d’audit et de surveillance (oversight), d’enquêtes destinées à détecter et à signaler les gaspillage, la fraude et les abus et la corruption au sein des entités relevant de leur juridiction.

La loi existante leur octroie les attributions suivantes : (1) superviser les agences le biais d’audits, d’enquêtes (au sens d’oversight en anglais) et d’évaluations ; (2) promouvoir l’économie, l’efficience et l’efficacité des programmes et des opérations (optimisation des ressources – Value For Money) tout en prévenant et en détectant la fraude et les abus, (3) tenir les dirigeants d’entités vérifiées pleinement informés des problèmes et des carences constatées. De nombreux manuels, guides et instructions détaillent ces différents aspects. En simplifiant un peu, au-delà des audits et évaluations, retenons qu’aux Etats Unis les Bureaux des Inspecteurs généraux sont des enquêteurs chargés de détecter des fraudes, les abus, les gaspillages, les faits ou actes de corruption et de faire des recommandations.

Outre la loi sur les Inspecteurs généraux, en 1989 sur la protection des lanceurs d’alerte et une nouvelle version intervenue en 2012. Cette dernière vise à renforcer la protection des lanceurs d’alerte ; en l’occurrence les employés fédéraux qui signalent des gaspillages, des fraudes et des abus dans les opérations gouvernementales.

2. Relations et partenariats entre les lanceurs d’alertes et les Inspecteurs généraux (USA)

Dans le système américain, les lanceurs d’alerte (whistleblowers) sont des partenaires clés des Bureaux des Inspecteurs généraux (OIG en anglais) dans leur travail de surveillance étant entendu que les révélations des lanceurs d’alerte peuvent déclencher des audits et des enquêtes sur des faits de mauvaise conduite présumée et liée aux contrats ou aux subventions, des actes ou faits de corruption ou de gaspillages estimés excessifs. Selon les cas, ces lanceurs d’alerte peuvent être des employés, des entrepreneurs, sous-traitants, bénéficiaires, etc. En conséquence, la loi américaine responsabilise les Inspecteurs généraux qui peuvent recevoir et enquêter sur toute dénonciation ou sur toute plainte de représailles d’un lanceur d’alerte. A cet égard, selon la loi sur les Inspecteurs généraux, peuvent recevoir et enquêter sur (1) des dénonciations et divulgations faites par les employés ou tiers constituant une violation possible de la loi, des règlementations ou des cas de mauvaise gestion, de gaspillages flagrants de fonds publics, un abus de pouvoir ou un danger substantiel et spécifique pour la santé et la sécurité publiques ; (2) des informations des lanceurs d’alerte via un formulaire de réception sur le site Web de l’OIG, une ligne d’assistance téléphonique (Hotlines) par appels ou emails des lanceurs d’alerte. Il peut exister des spécificités selon les Inspections générales et les « Politiques de Whistleblowing », lesquelles font l’objet de nombreuses documentations, guides, manuels selon les Inspections générales et au sein d’entités ayant officialisé de telles politiques rappelant des normes ou bonnes pratiques recommandées ou officialisées.

Il convient de relever les Inspecteurs généraux n’étaient pas tenus de donner suite à ces requêtes provenant de lanceurs d’alertes et de fournir des rapports aux dénonciateurs. Il existe aussi et parallèlement un Bureau du conseiller spécial compétent en la matière, car en plus de signaler une mauvaise conduite auprès du Bureau de l’Inspecteur général, les employés du pouvoir exécutif peuvent déposer des déclarations de dénonciation auprès dudit Bureau du Conseiller spécial, une agence fédérale indépendante investie de la mission de renforcer la protection des lanceurs d’alerte. Lorsque ce bureau conclue dénonciation faite justifie une enquête, il transmet les allégations à la structure concernée tout en exigeant que la structure produise un rapport d’enquête à son attention. Ces enquêtes ainsi référées peuvent être traitées par l‘Inspecteur général compétent.

De nombreux référentiels ont été publiés par divers acteurs et parties prenantes pour une bonne gestion des dénonciation de la réception des allégations au traitement des dossiers, par exemple des méthodes de triage, etc.

Coordonnateurs de la protection des lanceurs d’alerte

Les Bureaux des Inspecteurs généraux régis par la loi de 1978 modifié sont tenus de désigner en leur sein un Coordonnateur en charge de la Protection des Lanceurs d’alerte qui leur est confiée. Ces coordonnateurs sont ainsi des sortes de correspondants et assistent l’Inspecteur général par des activités et tâches tendant à faciliter la communication avec les lanceurs d’alerte, d’autres parties prenantes et le Congrès1. Ils jouent donc le rôle d’instances chargées de traiter

1 Une particularité des Inspections générales aux USA est ce rattachement fonctionnel tant aux entités qu’au Congrès

les plaintes, les dénonciations, d’activités de sensibilisation et d’information sur la législation en matière de whistleblowing, sur les droits, de conseil, souvent de façon confidentielle, pour permettre une meilleure compréhension du système, des processus de saisine, etc. Ils peuvent aussi servir de point de contact avec le Congrès (avec cette particularité susvisée d’Inspections générales aux Etats Unis qui rendent aussi compte de leurs travaux au Congrès et à l’Exécutif.)

En conclusion, cet article a traité d’un point particulier étant entendu que la loi sur les lanceurs d’alerte aux Etats Unis s’applique à de nombreuses autres questions liées. En outre, une juste appréciation d’une telle législation, des bonnes pratiques et référentiels induits commanderait de prendre en compte d’autres aspects tout aussi importants, notamment la protection des citoyens contre les fausses dénonciations ou réclamations comme le False Claim Act des Etats Unis le prévoit, le rôles des Hotlines, et la contribution de tout un système de management avec des techniques et technologies de dénonciation, en l’occurrence les Hotlines, la possibilité pour des parties prenantes de se porter partie civile, etc. En principe, une nouvelle législation et un tel système devraient ouvrir d’autres chantiers brièvement cités.

DR. Abdou Karim GUEYE. DBA/MBA/ENAM/Faculté de droit. UCAD. Inspecteur général d’Etat à la retraite. Ancien Directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature. Consultant international en management public, nouvelle gouvernance, surveillance et Transformation publique.