jeudi, décembre 12, 2024

Cellou Diallo, Directeur de la Conformité Ecobank Sénégal : « Chez nous, la conformité n’est pas une option, c’est une exigence »

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Cellou Diallo, Directeur de la Conformité Ecobank Sénégal  a accordé un entretien à nos confrères de Lejecos. Selon Monsieur Diallo, la  conformité n’est pas une option, mais  une exigence au sein de son entreprise.

M. Diallo, si vous deviez définir la conformité bancaire, que diriez-vous ?

Elle peut s’entendre comme des processus qui permettent d’assurer l’adhésion des comportements de la banque, de ses dirigeants, de ses salariés, de ses partenaires et de ses actionnaires aux normes juridiques et éthiques qui leur sont applicables. Dans ce contexte, les processus en question impliquent l’ensemble des composantes de la banque, de la direction générale aux salariés, en passant par les associés ainsi que toutes les parties-prenantes. Il y a donc deux aspects : l’aspect règlementaire et juridique ainsi que l’aspect éthique.

Comme en attestent les sanctions récentes infligées par la Bceao à certaines banques de la zone, il est relevé des manquements au niveau du secteur bancaire en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme, selon vous, comment améliorer le dispositif de la conformité à ce niveau et quelles sont les difficultés opérationnelles ?

Concernant l’amélioration du dispositif, l’action fondamentale à mon avis, est relative à l’adhésion des parties prenantes en interne (responsables, personnels, etc..) et en externe (partenaires, clients, etc…). Il est important que les enjeux soient bien compris pour une bonne mise en œuvre du dispositif de conformité. Dans ce cadre, l’accent doit être mis sur la formation et la sensibilisation. L’idée est qu’au-delà des sanctions qui sont brandies, il faut faire comprendre les enjeux et la finalité de la conformité. Et de ce point de vue, je vais citer Marie Anne Frisson Roche directrice du Journal of Régulation & Compliance…… , qui disait que « La conformité c’est la poursuite des buts monumentaux ». Et ces buts monumentaux peuvent être de nature négative comme empêcher le blanchiment, la corruption, le trafic des humains ou de manière positive comme obtenir la protection de l’environnement, des données personnelles, l’égalité entre les êtres humains et l’ensemble convergeant vers un but unifié qu’est la protection de l’Humain.

Pour la petite histoire, la problématique de la conformité est née avec la crise de 1929 aux Etats-Unis. L’initiative était donc destinée à prévenir les risques systémiques. C’est ce rôle de prévention que l’on doit percevoir plutôt que les sanctions qui, certes, sont un moyen de pression.

Pour ce qui est des difficultés opérationnelles, dans la pratique, la conformité est susceptible de fausser les règles d’une compétition saine entre les banques. Lorsqu’il n’y a pas une harmonisation dans l’application des règles de conformité, cela peut être source de compétition malsaine dans l’acquisition et la conservation des clients entre une banque qui applique rigoureusement les règles et une autre qui l’est moins dans leur mise en œuvre .

Comment Ecobank appréhende-t-elle la montée des exigences de conformité ?

Très tôt, Ecobank a eu une position avant-gardiste sur le marché subsaharien. A part les banques occidentales, nous sommes l’une des premières banques africaines à instaurer un département conformité indépendant des autres fonctions. Chez nous, la conformité n’est pas une option, c’est une exigence. Sur le risque de non-conformité, nous avons une tolérance zéro. C’est vous dire que Ecobank est intransigeante sur ce risque. Nous ne pouvons d’ailleurs pas faire moins car, faut-il le rappeler, Ecobank est cotée sur trois bourses (Nigeria Stock exchange, Ghana Stock exchange et BRVM) en Afrique, avec des exigences de reporting qui s’alignent aux standards internationaux.

Aussi, du fait de ses standards élevés en matière de LBC/FT le groupe Ecobank parvient à maintenir les relations de correspondants bancaires de ses filiales opérant dans des pays classés « hauts risques » par le GAFI . Or, si vous ne disposez pas d’un cadre de lutte contre le blanchiment qui soit conforme aux standards internationaux, vous ne pouvez pas avoir et maintenir ces relations de correspondants bancaires.

En termes de gouvernance, y a-t-il une indépendance entre la fonction Conformité et la direction générale ?

Nos filiales de la zone UEMOA appartiennent à un groupe bancaire et de ce point de vue, nous nous conformons aux exigences des dispositions de l’article 30 de la circulaire 01-2017 relative à la gouvernance des établissements de crédits et de compagnies financières de l’UMOA ; les fonctions de contrôle sont rattachées hiérarchiquement aux fonctions de contrôle du groupe et sur les questions de conformité, nous rendons régulièrement compte à la direction générale et trimestriellement au conseil d’administration de la filiale par le truchement de son comité d’audit et de Conformité.

Lors d’opérations de fusions-acquisitions, de créations de JV ou d’autres types d’investissements, procédez-vous systématiquement à des due diligences spécifiques en matière de conformité ?

Question intéressante car elle renvoie aux exigences des recommandations 10 et 24 du GAFI, qui traitent respectivement du devoir de vigilance à l’égard de la clientèle et la transparence dans les bénéficiaires effectifs. Lors de ces fusions-acquisitions, ou les JV, si on ne parvient pas à identifier les bénéficiaires effectifs ou ceux qui sont derrière, ceci pourrait être une brèche ouverte aux criminels financiers pour dissimuler les produits de leurs activités criminelles. Il est donc important d’effectuer des recherches sur ces bénéficiaires effectifs. Dans le contexte africain, la difficulté que nous avons est liée à la faiblesse des infrastructures qui ne permet pas l’accès à l’information et à la centralisation des registres. Dans le secteur minier, par exemple, les normes ITIE exigent désormais que l’on mette en place un registre des bénéficiaires effectifs.

Les efforts pour gérer et atténuer les insuffisances et les risques de conformité sont-ils compromis par les intérêts de revenus ?

C’est plutôt une erreur de voir les choses comme ça, parce qu’il n’y a pas de dualité entre les revenus de la banque et les exigences de conformité. Certes il y a un subtil dosage à trouver pour concilier les deux. Comme je le disais plus tôt, il est important d’insister sur la formation et la sensibilisation dans l’objectif de susciter l’appropriation par les acteurs. Certes la conformité a un coût mais c’est plus un investissement qu’une dépense.
La Compliance, comme disait le Professeur Mahmoud Mouhamad SALAH professeur à l’université de Nouakchott, n’est pas un luxe, elle est la condition d’un développement économique raccordé aux valeurs universellement consacrées, un moyen de concilier le respect des règles éthiques avec l’exigence d’efficacité.

L’image d’une banque étant fondamentale, pourquoi la BCEAO ne publierait-elle pas la liste des banques non conformes pour susciter davantage de rigueur ?

Je voudrais rappeler qu’il y a dix ou quinze ans, il n’y avait même pas de sanctions donc si aujourd’hui nous en sommes à ce niveau cela montre qu’on fait des progrès.

Disposez-vous d’un outil technologique comme l’Intelligence Artificielle(IA) capable de s’adapter à l’augmentation du volume et de la complexité des transactions ?

L’IA représente une opportunité dans le suivi des transactions, pour détecter des comportements inhabituels, ou des opérations complexes, qui ne semblent pas avoir un justificatif économique et qui peuvent être liées à des opérations de blanchiment. En termes de détection de transactions suspectes, nous avons une obligation de mettre en place des outils et moyens adéquats.

Avec l’IA et la machine Learning, tout cela se fait en temps réel sur la base d’un système d’alerte. C’est très important d’autant plus que cela nous permettra d’optimiser l’utilisation des ressources humaines allouées à la Conformité.

Avec le Magazine Lejecos Magazine