Sénégal – L’alerte rouge de l’ex DG de la banque islamique sur les finances publiques

Initiateur de la startup politique Dundu et ancien directeur général de la Banque islamique du Sénégal (Bis), Mouhamadou Madana Kane décrypte pour L’Observateur les grandes orientations de la Loi de finances rectificative (Lfr) 2025.

Directeur de campagne d’Idrissa Seck à la Présidentielle de 2024, l’économiste s’interroge sur le niveau réel de résilience du Sénégal face aux chocs, internes comme externes, dans un contexte fragile aggravé par les équilibres macro-économiques du pays.

La Lfr 2025 vient d’être approuvée par l’Assemblée nationale. Quels enseignements majeurs en tirez-vous ?


Au-delà des chiffres, je voudrais particulièrement m’arrêter sur le constat fait par le Ministre des Finances et du Budget lors de son intervention à l’Assemblée nationale, indiquant que le Sénégal est « dans une situation de précarité budgétaire et financière ». Au moins, sur ce point, il n’y a pas de désaccord entre pouvoir et opposition et il faut s’en féliciter. Ce constat alarmant se traduit nettement dans les chiffres de la LFR avec, notamment, des prévisions de recettes et d’absorption du déficit revues à la baisse au même titre que le taux de croissance du PIB. Il y a aussi une nette baisse assez considérable des besoins de financement, et donc une plus forte dépendance à l’aide. Devant cette situation, ce que je retiens personnellement, c’est une inquiétude majeure : non seulement c’est elle qui nivele de préparation de notre pays face à des chocs exogènes ou endogènes, mais surtout cela interpelle le niveau de résilience du pays dans une perspective de moyen ou long terme. En résumé, c’est un appel au réalisme que nous lancent les chiffres de la LFR. C’est une nouvelle alerte sur les déséquilibres macroéconomiques que nous traînons depuis plusieurs années maintenant.

Vous semblez penser que les grands équilibres des chiffres de la LFR 2025 occultent les vraies questions ?


Il ne faut pas oublier qu’un budget reste une prévision. Pour preuve, la LFR vient d’être fortement amendée par la LFR en conséquence de notre incapacité à réaliser les prévisions budgétaires initiales. C’est pourquoi, personnellement, ce qui m’intéresse le plus, au-delà des chiffres, c’est de se projeter, de manière prospective, sur la capacité de notre pays à soutenir ses ambitions économiques et budgétaires face aux éventuels chocs exogènes, d’ordre interne ou externe.

Pouvez-vous nous dire ce qui vous inquiète particulièrement ?


Il y a plusieurs points, mais je vais me limiter à donner deux exemples. Le gouvernement a la soude en relancer l’économie et, à cet effet, prévoit dans la LFR une réduction de 500 milliards FCFA pour apurer des arriérés de paiement dus aux acteurs économiques, principalement ceux du secteur des BTP. Autant la démarche est à saluer, autant il existe un risque de contre-performance si cela s’effectue au détriment de l’investissement public productif. En empruntant pour apurer des arriérés sans distinction claire entre les différents créanciers, il y a un risque d’effet d’éviction pour l’investissement public, notamment dans les infrastructures productives. Autre exemple : la réduction prévue du train de vie de l’État est salutaire, mais elle reste très timide. Malgré le discours officiel, les dépenses de fonctionnement restent très élevées. Il faudrait voir si des efforts concrets sont faits dans les ministères et agences. Pour finir, il y a le climat économique international qui reste préoccupant.

Nous observons depuis ces dernières semaines, que les grandes agences de notation internationale annoncent des perspectives négatives sur le Sénégal. Cela fait trois années consécutives que la notation du Sénégal est en baisse. Cela nous expose à un risque de perte de souveraineté du pays.

Dans ce contexte, nous ne sommes pas à l’abri d’un choc qui pourrait résulter du fait que les investisseurs institutionnels (banques, sociétés d’assurance etc.) hésitent à acheter des obligations du Trésor, ou pire, se mettent à exiger des taux plus élevés. Cela aura un impact non négligeable sur les intérêts de l’État du Sénégal. Si cette situation devait se prolonger, nous pourrions facilement passer de la situation de précarité budgétaire et financière évoquée par le Ministre des Finances à une situation d’incapacité budgétaire et financière. C’est pourquoi je plaide pour la mise en place d’un plan alternatif de financement endogène et durable, ancré sous-régional, mais également d’un plan de financement souverain du pays.

Le rapport d’exécution budgétaire du premier trimestre 2025 a été publié il y a quelques jours. Quelle lecture en faites-vous ?


Il reflète un niveau élevé de situation de « précarité budgétaire et financière » évoqué par le Ministre des Finances et du Budget lui-même. Malgré l’augmentation des recettes au premier trimestre, portée principalement par la mise en œuvre des mesures fiscales prises de 100 milliards FCFA, on note un très net repli de l’investissement à travers les dépenses d’investissements, puisque seulement 6,1 % des dépenses d’investissement ont pu être exécutées au premier trimestre. Cela veut dire simplement que notre politique budgétaire est loin d’être en ligne avec nos ambitions de croissance. De plus, les dépenses de fonctionnement ont explosé, notamment les dépenses de personnel avec des hausses salariales qui ont coûté très cher aux finances publiques. Il faut dire que dans le contexte budgétaire actuel, si le gouvernement ne prend pas des mesures vigoureuses, il y a une visibilité de plus en plus nette sur un basculement vers une situation d’incapacité budgétaire.

Justement, concernant la réduction des dépenses, ne pensez-vous pas que l’État a fourni des efforts étant donné que les dépenses d’acquisition de biens et services ont baissé de près de 9 milliards FCFA au premier trimestre 2025 ?


Il faut effectivement se féliciter des efforts de réduction des dépenses d’acquisition de biens et services. Mais il faut surtout espérer que ces réductions se traduisent en baisse durable de cette ligne plutôt que de l’imputation de l’exécution budgétaire des services de l’administration. Par ailleurs, étant donné une situation de « précarité budgétaire et financière », je pense que le gouvernement doit aller plus loin dans la coupe des dépenses. D’ailleurs, vu le contexte de dépréciation de la monnaie, il est incohérent d’augmenter les dépenses de personnel qui ont bondi de +4 %. Aussi, si je comprends bien, les augmentations peuvent être liées au rattrapage des transferts courants. Sur 463 milliards de transferts courants au premier trimestre, 483 ont été portés par les lignes du budget sur les Fonds de Soutien à l’Énergie (FSE), La Poste et Sen Ter.

C’est pourtant une bonne chose que l’État veuille soutenir le secteur de l’énergie à travers le FSE ainsi que la société La Poste ?


Vous avez raison ! Mais en même temps, vu le contexte budgétaire difficile, il est à mon avis important de s’interroger sur l’efficacité de ces dépenses. Vous prenez le cas du FSE, c’est 69 milliards FCFA de dotation rien qu’en 2025. N’est-ce pas trop élevé ? Est-ce que pour autant nous avons constaté une baisse du coût de l’électricité ? Et les subventions aux hydrocarbures pour les ménages ? Cette année encore, il est prévu d’allouer 127 milliards FCFA aux subventions aux hydrocarbures. Est-ce vraiment soutenable ? Ne faut-il pas continuer à subventionner indirectement ce qui n’est pas productif au détriment des secteurs porteurs de croissance comme l’agriculture ou l’industrie ? N’est-ce pas le moment de lancer une privatisation même partielle ?

Pour les besoins de la campagne agricole, le Gouvernement va mobiliser 70 milliards FCFA au titre des dépenses de transfert en faveur de ce secteur. Pensez-vous que ce montant est suffisant au regard de l’ambition du gouvernement à faire de l’agriculture un moteur de croissance ?


Je pense qu’aucun montant n’est jamais de trop pour soutenir le secteur de l’agriculture qui compte significativement au PIB de notre pays et emploie plus de 60 % de la population active. En revanche, compte tenu de nos contraintes, je crois qu’il va falloir que le mode de financement du secteur agricole soit mieux repensé. Je ne pense pas que les 100 milliards de dépenses de transfert en direction du secteur agricole soient efficaces. Dans notre territoire, 70 % n’en voient aucun impact direct.

Mais si notre agriculture continue d’exprimer de profondes préoccupations. Ne faut-il pas, justement, dans ces négociations, ne rien faire que dans des lieux exhaustifs afin d’éviter les précédentes erreurs ?

Selon vous, dans un contexte où le Gouvernement nationalise ses dépenses, quels peuvent être les secteurs qui devraient être priorisés ?


Nous devons investir dans la santé, dans l’éducation et dans la justice, mais aussi dans la transition énergétique. Les besoins en infrastructures sont immenses. Les écoles sont en ruine. Les hôpitaux manquent de plateaux techniques. Les tribunaux sont surchargés. L’insécurité est galopante. Nous avons aujourd’hui une dette publique qui pèse sur notre souveraineté, avec une croissance molle et une précarité sociale qui s’aggrave. Si nous continuons à gérer avec les faibles outils de planification que nous avons, nous n’allons pas nous en sortir. Il est impératif que nous adoptions un nouveau paradigme, plus stratégique, plus réaliste, plus courageux. La LFR aurait pu être une belle occasion de repositionner les priorités budgétaires du pays, pour consacrer à l’éducation, à la santé et à l’agriculture les ressources qui leur permettent de jouer pleinement leur rôle dans la transformation du pays. Hélas, cela n’a pas été fait.

CODOU BADIANE – LOBS

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