Dans un monde dominé par les géants américains et chinois de l’intelligence artificielle, une jeune pousse venue d’Afrique veut rééquilibrer le jeu. OneNine, fondée par l’ingénieur sénégalais Doudou Ba, ambitionne de bâtir la plus grande base de données linguistiques du continent et de devenir un acteur incontournable de la souveraineté numérique africaine.

Basée en Suède, avec des opérations à Dakar et Kampala, la startup s’impose déjà comme l’un des projets les plus ambitieux de l’écosystème technologique africain. Son objectif : rendre les systèmes d’IA plus représentatifs des langues, des voix et des cultures africaines.

Réparer une injustice linguistique mondiale

Pour Doudou Ba, également Operations Research Scientist chez Maersk et doctorant en machine learning à l’Université Charles de Prague, le constat est sans appel :

« Les langues africaines représentent moins de 0,5 % des datasets utilisés dans l’entraînement des modèles d’IA. Les algorithmes comprennent mal nos accents, nos expressions et nos réalités. »

Ce déficit structurel crée une fracture linguistique numérique : les modèles d’intelligence artificielle, entraînés sur des données majoritairement anglophones, peinent à comprendre les utilisateurs africains, que ce soit dans les assistants vocaux, les chatbots ou les systèmes de reconnaissance vocale. C’est ce vide que OneNine veut combler — en construisant l’infrastructure de données qui manque aujourd’hui à l’IA mondiale.

Une chaîne d’approvisionnement de données 100 % africaine

Là où d’autres collectent des données traduites, OneNine mise sur l’authenticité locale.
Son approche repose sur une chaîne d’approvisionnement intégrée : collecte, nettoyage, annotation, transcription et vérification des données audio et textuelles, le tout réalisé par des locuteurs natifs.

Plus de 200 contributeurs actifs dans plusieurs pays africains participent déjà à cette aventure, couvrant plus de 20 langues, dont le wolof, le pulaar, le swahili et le luganda.
L’ambition est claire : atteindre 3 000 contributeurs et 50 langues d’ici 2026, afin d’alimenter les grands modèles d’IA avec des données réellement représentatives du continent.

La vision de OneNine ne passe pas inaperçue. En 2025, la startup a remporté le prix Intelligence Artificielle lors du Big Angels Day Africa, organisé par Dakar Network Angels avec le soutien de Partech Africa, Sawari Ventures et Google for Startups.
Une distinction majeure qui assoit la crédibilité de OneNine et confirme le rôle croissant de Dakar comme hub de la donnée africaine.

Forte de cet élan, l’entreprise prépare désormais son entrée dans Y Combinator, le prestigieux accélérateur américain qui a vu naître Airbnb, Dropbox ou Stripe — une étape clé vers l’internationalisation de la jeune pousse.

Pour consolider sa position, OneNine multiplie les collaborations. L’entreprise a déjà lancé un pilote de 500 heures de données avec GeoPoll, avec un potentiel d’extension à 30 000 heures.
Elle travaille également avec LAfricaMobile, l’Université Cheikh Anta Diop et AI Hub Senegal, dans le but de structurer un écosystème durable autour de la donnée linguistique africaine.

Cette synergie entre startups, universités et acteurs technologiques locaux préfigure un modèle africain d’innovation ouverte, centré sur la valorisation du patrimoine linguistique du continent.

Malgré ses avancées, OneNine se heurte à plusieurs défis structurels :

• Le manque de données structurées disponibles sur le continent ;

• Le coût élevé de la labellisation professionnelle ;

• L’absence de standards africains de gouvernance de la donnée ;

• La faible disponibilité d’infrastructures locales pour stocker et traiter ces données.

Ces obstacles traduisent le retard institutionnel de l’Afrique face à la montée en puissance de l’intelligence artificielle.
Mais pour Doudou Ba, c’est précisément ce contexte qui rend la mission de OneNine essentielle :

« Si nous ne créons pas nos propres jeux de données, d’autres le feront à notre place — et avec leurs biais. »

Une levée de fonds pour accélérer la conquête

Pour soutenir son expansion, OneNine a lancé une levée de fonds pré-seed d’un million de dollars via un modèle SAFE (Simple Agreement for Future Equity). Plus de 500 000 dollars ont déjà été sécurisés auprès de Dakar Network Angels, Madica, Digital Africa et d’autres investisseurs internationaux. L’objectif est ambitieux : faire de Dakar le centre stratégique de la donnée africaine, fournir aux entreprises locales des solutions d’IA inclusives et contribuer à rééquilibrer le paysage mondial de l’intelligence artificielle.

En donnant aux langues africaines une place dans les algorithmes, OneNine  œuvre à la reconnaissance culturelle et linguistique du continent dans l’ère numérique. Dans un monde où l’IA façonne déjà les politiques, l’éducation et l’économie, la startup de Doudou Ba trace une voie audacieuse : celle d’une intelligence artificielle qui parle enfin l’Afrique — et pas seulement de l’Afrique.