Réuni ce lundi 1er septembre 2025 à la Primature, le Conseil interministériel présidé par le Premier ministre Ousmane Sonko a consacré ses travaux à l’avenir du Groupe SN La Poste. Au terme de plusieurs heures de délibération, l’exécutif a adopté une batterie de 15 mesures phares visant à sauver, assainir et repositionner un opérateur public en crise profonde depuis plus d’une décennie.
Une crise multidimensionnelle
Le diagnostic présenté lors du Conseil dresse un tableau préoccupant. Héritière de l’Office des Postes et Télécommunications, la Société nationale La Poste a vu ses performances s’effondrer entre 2012 et 2025. Les effectifs ont bondi de 60 % sans stratégie de productivité, alors que le chiffre d’affaires reculait de 26 %. Résultat : un déficit structurel abyssal, des pertes cumulées dépassant 100 milliards de FCFA, des capitaux propres négatifs de 156 milliards et des dettes sociales, fiscales et bancaires à des niveaux critiques.
Plus grave encore, les dépôts des comptes clients (CCP et Caisse nationale d’Épargne) accusent un déficit de plus de 9 milliards, entamant sérieusement la confiance du public. À cette situation financière délétère s’ajoutent des défaillances de gouvernance, avec l’absence de contrôle externe pendant quinze ans et des états financiers non publiés sur plusieurs exercices.
Les filiales ne sont pas épargnées : Postefinances affiche des capitaux propres négatifs de 17 milliards et des fraudes de plus de 3 milliards, tandis qu’EMS Sénégal, censée porter la croissance du courrier express, a perdu des parts de marché stratégiques.
Une vision stratégique de refondation
Malgré ce constat sévère, le gouvernement entend transformer la crise en opportunité. La vision arrêtée place La Poste au cœur de l’inclusion économique, sociale et numérique du Sénégal. Trois priorités structurent cette ambition :
une offre de services modernisés et adaptés aux besoins des citoyens et des entreprises ; une gouvernance rénovée et transparente, avec certification régulière des comptes et contrats de performance ; une digitalisation accélérée, en synergie avec SENUM SA et sous le contrôle d’une régulation renforcée par l’ARTP.
Le pari est clair : faire de La Poste un acteur crédible et compétitif de la logistique, de la finance digitale et du e-commerce, au service de la bancarisation des populations, de la connectivité des territoires et de la croissance nationale.
Quinze colis pour une relance durable
Pour passer de la stratégie à l’action, le Premier ministre a détaillé 15 mesures prioritaires, réparties entre redressement immédiat (2025) et relance progressive (2025-2029).
Mesures de redressement (2025)
Recapitalisation de la SN La Poste et mise à jour des états financiers. Modernisation de la gouvernance et finalisation du Plan stratégique. Rationalisation des effectifs avec un plan de départs négociés. Apurement des dettes fiscales et sociales, évaluées à près de 8 milliards. Décaissement de 5 milliards de la CDC pour soutenir Postefinances.
Mesures de relance (2025-2029)
Valorisation du patrimoine immobilier et des infrastructures de télécommunication. Respect du domaine réservé de La Poste face aux opérateurs privés. Audit de la comptabilité analytique pour définir la rémunération du service public. Renforcement d’EMS Sénégal, notamment via le transport des valises diplomatiques. Octroi à La Poste des services de paiements de masse, en partenariat avec le Trésor et d’autres entités publiques. Mutation de Postefinances en Banque postale, ouverte aux capitaux privés d’ici 2029. Reconstitution des fonds des tiers pour garantir la confiance des clients. Mise en place d’un service national de messagerie électronique et diversification des activités (courtage d’assurance). Priorité aux services postaux dans l’administration publique. Développement d’une offre compétitive pour le e-commerce national et transfrontalier.
Un test majeur pour l’État stratège
À travers ce plan d’urgence et de transformation, le gouvernement entend sauver un pilier historique de l’économie nationale, garant d’inclusion et de souveraineté. Mais le défi reste immense : il faudra conjuguer assainissement financier, digitalisation et innovation, dans un climat social déjà fragile.
Si les mesures annoncées sont mises en œuvre avec rigueur et transparence, La Poste pourrait redevenir un levier stratégique du développement national. Faute de quoi, le risque est grand de voir s’éroder encore davantage un service public essentiel à la cohésion sociale et territoriale du Sénégal.