Il y a quatre ans, lorsqu’il lançait Dodai, sa startup de motos électriques à Addis-Abeba, Yuma Sasaki faisait face à un désert industriel : « Il n’y avait pratiquement aucune chaîne d’approvisionnement, une infrastructure de recharge embryonnaire et aucun cadre politique pour le transport électrique », raconte-t-il. Aujourd’hui, le décor a changé à une vitesse inattendue.
L’Éthiopie, longtemps perçue comme un marché opaque, risqué et difficile à pénétrer, commence enfin à attirer l’attention des investisseurs internationaux. Une succession de réformes, couplée à quelques investissements stratégiques, repositionne le pays comme l’un des nouveaux terrains de jeu de l’innovation en Afrique.
Un virage politique décisif
L’adoption cette année de la première Startup Proclamation marque un tournant majeur. Pour la première fois, l’État reconnaît officiellement les startups comme une catégorie à part entière, avec des avantages fiscaux, des procédures simplifiées et une volonté affichée de faire de l’entrepreneuriat un levier national.
Le signal le plus fort est toutefois venu de l’ouverture du secteur des télécommunications. En 2021, un consortium mené par Safaricom a brisé le monopole historique d’Ethio Telecom, injectant de nouveaux capitaux, déployant des infrastructures et modernisant les services mobiles. Pour les investisseurs, cette connectivité nouvelle et plus fiable réduit les frictions et professionnalise les rails numériques du pays.
Dans la foulée, l’Éthiopie a desserré les restrictions imposées aux banques étrangères. Depuis fin 2024, des institutions financières réputées peuvent ouvrir des filiales ou prendre des participations minoritaires dans les banques locales. Une évolution majeure dans un pays où l’accès limité au forex constituait l’un des plus grands obstacles pour les entreprises internationales.
Un marché massif, jeune — et désormais en mouvement
Avec plus de 130 millions d’habitants, dont une majorité de moins de 30 ans, l’Éthiopie représente un marché colossal pour tout acteur du numérique. Longtemps inexploité, ce potentiel démographique devient aujourd’hui un véritable argument pour les investisseurs patients.
Sur le terrain, l’élan est encore timide comparé à Nairobi ou Lagos, mais il s’accélère. Dodai, qui a levé plusieurs millions et déploie des stations d’échange de batteries pour démocratiser les motos électriques, symbolise cette nouvelle dynamique. L’entreprise mise sur une approche locale, pragmatique et collaborative.
« En Éthiopie, la réussite dépend de la patience et du partenariat », explique Sasaki. « Il faut comprendre les subtilités réglementaires, travailler avec les équipes locales et construire des relations solides avec les institutions. »
D’autres startups suivent la même trajectoire : plateformes de paiement cherchant à connecter les commerçants éthiopiens aux rails du commerce mondial, entreprises climatiques, solutions logistiques locales…
Des risques persistants, mais un narratif qui change
Tout n’est pas réglé : la volatilité de la monnaie et la rareté du forex restent des défis majeurs. Les réformes sont jeunes, parfois fragiles. Les investisseurs institutionnels surveillent la gouvernance et la capacité du pays à offrir des sorties crédibles.
Mais un élément change la donne : des histoires concrètes, compréhensibles, qui rendent les réformes tangibles. Une station de batteries qui aide des milliers de livreurs. Une solution de paiement qui ouvre une PME au marché international. Ces preuves par l’usage nourrissent un optimisme prudent.
Sasaki résume la situation avec lucidité :
« Comme l’Éthiopie reste un marché émergent pour le capital-risque, les entrepreneurs doivent éduquer les investisseurs. Ils doivent expliquer non seulement leur modèle, mais aussi l’évolution de l’écosystème et son immense potentiel. »
Un géant qui se réveille
Après des années d’instabilité, de protectionnisme et de fermeture, l’Éthiopie donne l’impression d’un géant qui se réveille. Sous l’opacité perçue, une culture d’affaires dynamique prend forme, créative, ambitieuse et prête à s’ouvrir.
Et cette fois, les investisseurs étrangers semblent décidés à regarder de plus près — et, peut-être, à s’installer pour de bon.