Depuis plusieurs mois, les ménages sénégalais tirent la sonnette d’alarme : les factures d’électricité explosent, parfois sans explication apparente. Beaucoup pointent du doigt le compteur Woyofal de la Société nationale d’électricité du Sénégal (SENELEC), accusé de “consommer” rapidement les crédits, au point que les recharges passent au rouge en un temps record.
Cette situation soulève une question essentielle : comment mieux comprendre et maîtriser sa consommation d’électricité ? Et surtout, l’intelligence artificielle (IA) peut-elle nous aider à consommer moins sans sacrifier notre confort ?
Un contexte énergétique sous tension
Au Sénégal, le coût de production et de distribution de l’électricité a augmenté ces dernières années, sous l’effet combiné de la hausse du prix du fuel, de la demande croissante et de la modernisation du réseau. Même si la SENELEC affirme que les hausses ressenties proviennent souvent d’une
surconsommation liée aux équipements modernes (climatiseurs, congélateurs, chauffe-eau, etc.), les ménages constatent une chose simple : leurs factures montent, parfois sans que leurs habitudes ne changent vraiment.
Dans ce contexte, il devient urgent de mettre la technologie au service des usagers, afin de rendre visible ce qui ne l’est pas : la réalité de notre consommation électrique au quotidien.
Comment l’IA peut aider à réduire la consommation
L’intelligence artificielle n’est pas qu’un mot à la mode. Dans de nombreux pays, elle est déjà utilisée pour analyser, prévoir et optimiser la consommation d’énergie. Voici quelques leviers concrets qui pourraient être appliqués au contexte sénégalais.
1. Identifier les appareils qui consomment le plus (NILM)
Grâce à une technologie appelée NILM (Non-Intrusive Load Monitoring), l’IA peut analyser les variations du signal électrique global de votre compteur pour déterminer quels appareils consomment le plus — sans avoir besoin d’installer un capteur sur chaque prise. Résultat : vous savez enfin que votre réfrigérateur représente 25 % de votre facture, ou que votre climatiseur consomme trois fois plus que prévu. Ces informations
permettent d’agir de façon ciblée.
2. Prédire la consommation future
Les modèles d’IA peuvent prévoir votre consommation sur les prochaines 24 heures en fonction de vos habitudes, de la météo et des périodes de forte demande. Cela permet de planifier intelligemment l’utilisation de certains appareils : par exemple, faire tourner la machine à laver ou le chauffe-eau pendant les heures creuses.
3. Détecter les anomalies
Une hausse subite de la consommation peut être due à un appareil défectueux, à une fuite de courant ou à une mauvaise isolation. L’IA peut détecter ces comportements anormaux et vous alerter : “Votre congélateur consomme 40 % de plus qu’hier, vérifiez la porte ou le thermostat.” Ce genre d’alerte simple peut éviter des factures gonflées.
4. Recommander les bonnes pratiques
Sur la base des données collectées, un système intelligent peut fournir des conseils personnalisés :
● Réduire la température du climatiseur de 2°C la nuit.
● Éteindre le chauffe-eau entre 10h et 16h.
● Éviter d’utiliser plusieurs appareils puissants en même temps.
Ces recommandations simples, basées sur des données réelles, peuvent réduire la facture de 10 à 20 %, selon plusieurs études internationales.
À quoi ressemblerait une solution pour les foyers sénégalais ?
Imaginons un assistant intelligent de consommation, connecté à votre compteur Woyofal (ou à une petite prise intelligente). Chaque jour, l’application mobile afficherait :
● La consommation totale et par appareil estimé.
● Les moments où la consommation grimpe anormalement.
● Des recommandations pratiques et des prévisions personnalisées.
En un mois, chaque foyer pourrait identifier ses postes énergivores, ajuster ses habitudes et suivre l’évolution de sa facture en temps réel. Une telle solution ne nécessite pas d’équipements coûteux : un simple smartphone et une connexion Wi-Fi suffisent. L’IA ferait le reste dans le cloud ou directement sur l’appareil.
Ce que disent les études
Les recherches dans ce domaine sont nombreuses :
● Les systèmes NILM peuvent estimer la consommation des principaux appareils avec une précision de 80 à 90 %.
● Les foyers équipés de tableaux de bord intelligents réduisent en moyenne leur consommation de 5 à 20 %.
● Les solutions de prévision de charge permettent d’éviter les pics de consommation et de réduire les pertes énergétiques au niveau du réseau.
Ces chiffres, confirmés par plusieurs travaux universitaires et déploiements pilotes à travers le monde, montrent que l’IA n’est pas une idée futuriste — elle fonctionne déjà ailleurs.
Les défis à surmonter
Bien sûr, plusieurs obstacles doivent être pris en compte :
● Accès limité aux données des compteurs Woyofal : aujourd’hui, les utilisateurs ne peuvent pas facilement récupérer leurs historiques détaillés.
● Protection de la vie privée : les données de consommation révèlent beaucoup sur nos habitudes quotidiennes. Leur utilisation doit être encadrée et sécurisée.
● Coût initial : les prises intelligentes ou les box connectées restent peu accessibles à une partie de la population.
● Manque de sensibilisation : beaucoup d’usagers ignorent encore les écogestes simples ou les effets d’un appareil mal entretenu.
Ces défis sont réels, mais ils ne sont pas insurmontables. Avec un accompagnement public et privé, le Sénégal peut poser les bases d’une transition énergétique intelligente.
Vers une stratégie nationale d’énergie intelligente
L’adoption de l’IA dans la gestion de l’électricité ne doit pas être laissée au hasard. Elle peut s’intégrer dans une stratégie nationale d’efficacité énergétique, articulée autour de trois axes :
1. Ouvrir les données : permettre aux start-ups et chercheurs d’accéder (de façon sécurisée) aux données de consommation agrégées.
2. Encourager l’innovation locale : soutenir les projets sénégalais développant des solutions d’IA adaptées à Woyofal et au contexte local.
3. Former et sensibiliser les citoyens : montrer que chaque geste compte, et que la technologie peut être un allié plutôt qu’une contrainte.
L’intelligence artificielle ne se limite pas à la robotique ou aux voitures autonomes. Elle peut aujourd’hui aider chaque ménage sénégalais à reprendre le contrôle de sa consommation d’électricité. En combinant les données du compteur Woyofal, des modèles d’IA légers et une application simple, il est possible d’identifier les gaspillages, de prévoir les besoins, et de réduire la facture sans sacrifier le confort. La technologie est prête. Il ne manque plus qu’une volonté collective — celle de faire de l’électricité intelligente une réalité accessible à tous.
Souleymane Baldé
CEO de NaraTechVision