dimanche, avril 28, 2024

Les grandes batailles des plateformes digitales

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Comment expliquer le succès des grands acteurs de l’écosystème digital ? Qu’est-ce qui est à la source de la suprématie de Microsoft sur le marché des ordinateurs personnels ? Comment iOS et Android se sont-ils imposés comme des OS standard pour les smartphones ? Comment Google est-il devenu le moteur de recherche par défaut dans la quasi-totalité des pays ? Pourquoi Facebook s’est-il imposé comme le réseau social grand public de référence ? Sur quoi repose le succès d’Alibaba et celui de Tencent en Chine ?

Trois facteurs déterminants sont à la base de ces succès :

  • un business model innovant,
  • une vision mobilisatrice,
  • une orientation client.

Les entreprises leaders du digital ont, dans la plupart des cas, mis en place le business model de type plateforme multiface. Leur vision nourrit l’innovation et stimule la mobilisation constante des ressources, via des méthodes agiles, en vue de mieux exploiter l’intelligence collective. Une forte orientation client intégrant une bonne utilisation des données et un attachement viscéral à la simplification des parcours utilisateurs est au cœur de la stratégie de ces entreprises leaders.

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Après un bref rappel du concept de plateforme, cet article décrit succinctement quelques caractéristiques de cette nouvelle économie des plateformes en mettant en relief le rôle joué par les géants de l’écosystème digital. La suite, consacrée aux batailles phares qui ont jalonné ces cinq dernières décennies, sera publiée dans deux articles séparés (parties 2 et 3).

Structure monoface vs Plateforme multiface

« La plateforme doit être conçue comme un business model qui permet de connecter plusieurs membres, organisations, ressources, dans le cadre d’un écosystème interactif qui permet la création et l’échange de valeur. » (1)

Une structure monoface a une maîtrise parfaite de ses chaînes de production. Elle acquiert des intrants, les assemble dans un processus de production et délivre un produit qui est souvent inséré dans des circuits de distribution (source à assemble à deliver).

Exemples de structures monoface : une entreprise de fabrication de chaussures, une entreprise de BTP, une ferme agricole.

Une plateforme multiface (ou plateforme tout simplement) n’a pas nécessairement un contrôle direct de sa production. Elle permet des interactions créatrices de valeur entre producteurs et consommateurs. Elle attire, facilite la création/livraison de valeur et assure surtout la parfaite rencontre (pull à facilitate à match).

Exemples de plateformes multifaces : un journal (mettant en liaison des lecteurs et des annonceurs), un centre commercial (reliant clients et enseignes), une carte de crédit (facilitant la transaction entre le client, la banque et le commerçant).

La gestion efficace de ce type de plateforme consiste à « faire monter à bord » intelligemment les acteurs ciblés (producteurs et consommateurs), développer les effets de réseau favorables et optimiser la satisfaction de tous les membres de cet écosystème en éliminant les frictions.

Effet de réseau : phénomène par lequel l’utilité ou la valeur dépend du nombre d’utilisateurs. « L’effet de réseau fait référence à l’impact que le nombre d’utilisateurs a sur la valeur créée pour chaque utilisateur (2)». On distingue :

  • l’effet de réseau direct : qui survient quand une augmentation du nombre d’utilisateurs sur une face accroît la valeur ou l’utilité pour les membres de cette face.

Exemple : le réseau téléphonique (structure monoface)

  • l’effet de réseau indirect : qui survient quand une augmentation du nombre d’utilisateurs sur une face accroît la valeur ou l’utilité pour les membres de l’autre face.

Exemples : carte VISA, taxi Uber…

Dans le cas de Facebook, on note des effets de réseau directs et des effets de réseau indirects.

L’effet de réseau est positif lorsque la plateforme est bien managée. Dans le cas contraire, il devient négatif. L’effet de réseau positif est la source de l’avantage concurrentiel qu’offre une plateforme. Lorsqu’il est bien exploité, l’entreprise plateforme ne laisse aucune chance à son homologue de type monoface. Sa capacité d’innovation, sa croissance et sa capacité à délivrer de la valeur suivent une progression géométrique. C’est pourquoi on les appelle aussi des organisations exponentielles.

Une économie de plateforme poussée par des mastodontes de la côte Ouest-Américaine et des géants de la côte Est chinoise

Ces plateformes ont un impact profond dans la nouvelle entreprise du 21e siècle, dans l’économie et dans la société globalement. Ces grands champions du digital sont surtout situés aux USA (sur la côte Ouest) et en Chine (sur la côte Est). Les plateformes digitales qui émergent en Chine sont très avant-gardistes. Elles enregistrent des taux de croissance importants. L’Europe en possède un nombre restreint. Elles sont toutefois quasi-inexistantes en Amérique latine et en Afrique.

Les entreprises les plus emblématiques sont désignées sous les acronymes de GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), NATU (Netflix, AirBnB, Tesla et Uber) et BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Les GAFAM cumulent aujourd’hui une capitalisation boursière qui s’approche des $7000 milliards, représentant près de 25 % du stock de la S&P 500, soit plus que les PIB de la France et de l’Allemagne réunis.

On retrouve des plateformes digitales dans de nombreux secteurs : Ebay (vente aux enchères), Nest (énergie), Skillshare (éducation), Instagram, LinkedIn (communication et réseau), Lending Club (finances), Upwork (services pro), etc.

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Ces champions n’ont pas seulement adopté le business model de type plateforme multiface, ils ont aussi excellé dans l’utilisation des principes inhérents à ce modèle. Ils ne se sont pas uniquement limités à l’innovation sur les produits, ils ont aussi innové sur le business model, notamment dans la proposition de valeur (valeur que le business offre aux clients) et dans le réseau de valeur (ressources, partenariats, processus). Ils ont montré, pour la plupart d’entre eux, une forte résilience face à la crise sanitaire actuelle. Certains, comme Uber et AirBnB, ont été secouées par l’effondrement des voyages, au moment où d’autres profitent de cette situation (plateformes de communication à distance : TEAMS, ZOOM, MIRO etc.)

Aux USA, la plupart des acteurs du digital se sont installés dans la Silicon Valley, qui constitue un creuset d’innovations et d’émergences où l’on retrouve start-up, grandes entreprises, universités, cabinets de conseil, coaches et investisseurs.

Comment peut-on parler de ces géants sans évoquer la bande surnommée « Mafia PayPal » ? Après avoir vendu PayPal à Ebay en 2002, les dirigeants de cette structure ont tous réussi à mettre en place une ou plusieurs structures qui ont excellé sur leur marché. On peut en citer certains : Elon Musk (Tesla, Space X), Reid Hoffman (LinkedIn), Jawed Karim, Steve Chen, Chad Hurley (YouTube), Peter Thiel (Palantir), etc. Pour eux, les entrepreneurs de la Silicon Valley se distinguent essentiellement par un « mindset » incluant un esprit curieux, résilient et ambitieux.

En Chine, leurs champions opèrent dans le cadre d’une stratégie globale du pays. La Chine ambitionne de créer une route de la soie digitale (ou digital silk road), qui est un volet de leur grande initiative BRI (Belt and road initiative). Ceci s’insère dans le grand pari qui est de faire de la Chine un pays de plateformes. Le privé et l’État chinois travaillent en étroite collaboration en vue de jouer un rôle de premier plan dans la définition des standards et exporter l’infrastructure digitale.

La Chine accorde une haute priorité aux domaines suivants : le e-commerce, les paiements électroniques, le volet smart cities et le volet crédit social (gestion des données des citoyens en vue de mieux administrer la cité). Baidu, Alibaba, Tencent, Huawei et ZTE jouent un rôle important dans ces initiatives. Au cœur de tous ces programmes se trouve le déploiement de la 5G.

Ces géants du digital ont excellé dans l’exploitation des technologies exponentielles : TIC, intelligence artificielle, robotique, technologies 3D, cloud ou infinite computing, réseaux et senseurs, et nanotechnologie. Ils ont largement exploité les possibilités offertes par las technologies Big Data..

Les grandes batailles de ces cinq dernières décennies

Seront examinées, dans les deux prochains articles, douze (12) batailles qui ont eu lieu dans les six domaines suivants :

1. OS des ordinateurs personnels, OS des smartphones et le cloud,

2. Outils de navigation et moteurs de recherche sur le web,

3. Services de messagerie instantanée et médias sociaux,

4. Contenus de types musique, vidéo, jeu,

5. Services d’intermédiation pour le transport et l’hôtellerie,

6. E-commerce et outils de paiement.

Le dernier point a trait aux dilemmes des opérateurs télécoms.

Glossaire

Business model : ou (modèle d’affaires) décrit, de façon holistique, la façon dont un business crée de la valeur pour un marché et le répartit entre les diverses parties prenantes.

Proposition de valeur : valeur que le business offre aux clients.

Réseau de valeur : hommes, partenaires, processus sur lesquels le business s’appuie pour offrir cette proposition de valeur.

Big Data : données massives dont les caractéristiques, en termes de volume, de variété et de vélocité, requièrent des technologies de traitements assez spécifiques (dépassant la capacité d’une seule machine).

  1. (2) Geoffrey G. Parker, Paul C. Sangeet, Marshall W. Van Alstyne, Platform revolution.

Par Ibrahima THIOYE

Contribution publiée sur seneplus