jeudi, avril 25, 2024

Les enjeux de la mise en place d’une « administration mobile » dans les pays en développement

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Depuis le début de la pandémie de COVID-19 l’an dernier, de nombreux États, déjà avancés dans le domaine numérique, comme par exemple l’Autriche (a), ont développé l’accès à leurs services publics via la téléphonie mobile. Leur expérience permet à d’autres pays, moins avancés, de sauter des étapes en tirant parti de la progression phénoménale de ce moyen de communication pour repenser la prestation des services de l’État.

L’Union internationale des télécommunications estime que sur 7 milliards d’habitants dans le monde, 6,5 milliards disposent d’un téléphone mobile. En 2018, la pénétration de la téléphonie mobile avoisinait 100 % dans les pays à revenu faible ou intermédiaire et 55 % dans les pays à revenu faible uniquement. En Afrique du Sud, la moitié de la population possède un smartphone. Au Ghana, au Sénégal et au Nigéria, cette proportion est d’un tiers.

Malgré l’énorme potentiel de l’« administration mobile » dans les pays en développement, ceux-ci ont à surmonter des difficultés que ne connaissent pas l’Autriche et le reste de l’Union européenne. En Autriche, la carte d’identité électronique a joué un rôle décisif dans la transition douce du pays vers la dématérialisation des services administratifs. Or, 1 milliard de personnes dans le monde ne disposent d’aucune preuve officielle d’identité. Et 1,7 milliard n’ont pas de compte en banque (a). Si le taux moyen d’abonnement à un service de téléphonie mobile approche 80 % tous pays confondus, il existe de vastes disparités d’un pays à l’autre. Au Soudan du Sud, au Kosovo, en République centrafricaine et en Érythrée, la couverture n’atteint pas 35 %. Et même dans les pays où elle est plus étendue, les deux tiers de la population ne possèdent pas de smartphone, condition sine qua non pour accéder aux services publics dans les pays les plus avancés. 

Il n’en reste pas moins que la téléphonie mobile est la technologie la plus à même d’apporter une transformation à grande échelle et qu’elle constitue un outil efficace pour permettre aux pays en développement d’atteindre leurs objectifs :

L’administration mobile favorise l’inclusion financière.  Les services d’argent mobile sont un moyen de verser des prestations aux populations pauvres, en particulier parce qu’elles n’ont généralement pas de compte bancaire. À ce jour, ils comptent 1,2 milliard d’usagers dans 95 pays. Dans des dizaines de pays, cette infrastructure facilite le versement des prestations sociales via les systèmes de paiement numérique entre l’État et les particuliers. 

C’est le cas au Bangladesh, par exemple, où l’État verse à 5 millions de ménages, via des comptes d’argent mobile, des aides pour faire face à la crise de la COVID. La dématérialisation des paiements réduit la corruption et les pertes lors des transferts d’argent. De plus, elle améliore l’accès aux services financiers. Et elle favorise la participation des populations pauvres à l’activité économique. 

La téléphonie mobile développe considérablement l’accès aux services.  De la santé à l’agriculture en passant par l’éducation, le téléphone mobile peut être synonyme d’accès à des services essentiels pour les plus démunis. 

  • Les SMS sont ainsi mis à contribution pour lutter contre des problèmes de santé majeurs : en plus de servir aux urgences et autres soins élémentaires, c’est un vecteur de sensibilisation sur l’eau potable, la planification des naissances, la santé maternelle ou les retards de croissance. Au Pakistan, le mobile aide à combattre la dengue : les autorités ont équipé les professionnels de santé de téléphones afin qu’ils envoient des photographies géolocalisées des zones marécageuses traitées par pulvérisation, tandis qu’une équipe d’experts a assuré un suivi centralisé de la couverture de ces secteurs. 
  • L’utilisation de la téléphonie mobile dans le domaine de l’éducation a aussi fait un bond en avant. Une enquête de l’UNESCO (a) montre qu’un tiers des répondants vivant dans des pays comme le Zimbabwe, l’Ouganda, le Nigéria ou le Pakistan lisent des histoires sur leur téléphone portable à leurs enfants. Au Pakistan, en Inde et en Ouganda, l’administration scolaire utilise le même canal pour contrôler l’assiduité des enseignants. 
  • Dans le secteur agricole, la téléphonie mobile sert, par exemple en Éthiopie et en Ouganda, à la diffusion d’alertes précoces sur les sécheresses, les pénuries alimentaires, les invasions de nuisibles et les risques météorologiques. 

Le téléphone mobile est l’outil le plus efficace en matière de responsabilité sociale.  

En effet, il permet au citoyen d’effectuer des signalements par SMS ou image géolocalisée. Cela s’applique à quasiment tous les domaines. Au Pakistan, les usagers du service des passeports (soit environ 15 000 personnes par jour dans plus de 100 bureaux) reçoivent un message de son directeur général leur demandant s’ils ont fait l’objet de tentatives de corruption ou été confrontés à d’autres difficultés (a).

En Inde, aux Philippines, en Ouganda, en Géorgie et dans de nombreux autres pays, le gouvernement incite à l’emploi de SMS pour favoriser la responsabilité sociale. 

Une enquête (a) réalisée dans 46 pays africains montre une nette corrélation entre des taux élevés de pénétration de la téléphonie mobile et des niveau plus faibles de corruption perçue.

En conclusion, les États qui veulent développer leur offre de services mobiles doivent considérer trois éléments essentiels  :

Tout d’abord, la téléphonie mobile offre un immense potentiel pour un grand nombre de champs du développement, mais la responsabilité sociale est l’un des aspects sur lesquels elle a le plus d’impact. C’est pourquoi il faut en tenir compte en amont de toute réforme. La responsabilité sociale doit présider à la mise en place d’une administration mobile parce qu’elle a un effet positif sur tous les autres domaines de la prestation des services publics. 

En second lieu, il faut promouvoir une démarche qui intègre l’ensemble des secteurs et des échelons de gouvernement. Cela n’est pas sans difficulté, mais une coordination entre les différentes branches de l’État mérite cet effort car elle évite les doublons. La population est celle qui a le plus à gagner d’une offre cohérente. 

Enfin, il faut absolument impliquer dans cette démarche les citoyens et la société civile. L’un des grands principes de la numérisation de l’administration publique (a) consiste à placer le citoyen au centre de la conception, pour que le résultat soit accessible et pratique. Après tout, l’administration mobile a pour unique finalité d’améliorer l’accessibilité et l’efficacité des services.  

Note de la rédaction : Ce billet est le second et dernier volet d’une publication en deux parties. Le premier billet est disponible ici (a).

Khuram Farooq
Spécialiste senior de la gestion des finances publiques
Peter Kustor
Directeur des affaires internationales et juridiques