Le gouvernement prévoit d’instaurer un prélèvement de 1 % sur chaque transaction de transfert d’argent effectuée via les codes marchands, à l’exception des grandes et moyennes entreprises. Parallèlement, une taxe sur les transferts d’argent (TTA) fixée à 0,5 % sera également appliquée.
Dans le cadre de son plan de redressement économique 2025-2028, le gouvernement sénégalais s’apprête à franchir un cap controversé : l’instauration d’une nouvelle taxe sur les transactions de mobile money. Selon plusieurs sources, un projet de loi devrait être présenté prochainement à l’Assemblée nationale. L’enjeu financier est considérable. L’exécutif vise 220 milliards de FCFA de recettes supplémentaires sur trois ans grâce à cette taxation des services financiers numériques (SFN), dans un contexte de déficit budgétaire critique.
Un double prélèvement qui inquiète
La réforme prévoit un mécanisme de taxation à deux niveaux :.
Un prélèvement de 1 % est appliqué sur chaque transaction de transfert d’argent concernant les personnes physiques ou morales disposant d’un code marchand auprès des opérateurs de transfert d’argent, à l’exclusion des assujettis immatriculés auprès du service en charge des grandes entreprises ou de celui en charge des moyennes entreprises. Il existe également une Taxe sur les Transferts d’Argent (TTA), dont le taux est fixé à 0,5 %.
Un paradoxe économique redoutable
Cette mesure présente un paradoxe majeur : alors qu’elle vise à augmenter les recettes publiques, elle risque de produire l’effet inverse en poussant les utilisateurs vers l’économie informelle. Plus de 90% des Sénégalais de plus de 15 ans utilisent actuellement le mobile money, un taux d’adoption remarquable dans un pays où la bancarisation reste faible. Les plateformes de paiement mobile ont traité près de 15 300 milliards de FCFA de transactions en 2025, générant des économies estimées à 125 milliards de FCFA par an pour les utilisateurs. Les populations les plus vulnérables – familles à faibles revenus, femmes, petits commerçants, étudiants – qui dépendent quotidiennement de ces services, seraient les premières touchées par cette surtaxation.
Les leçons africaines ignorées ?
L’expérience d’autres pays africains devrait pourtant alerter Dakar. Au Cameroun, l’introduction d’une taxe de 0,2% a provoqué la colère des agents de mobile money et soulevé des questions d’équité.
L’exemple ougandais est encore plus parlant : face aux vives protestations suscitées par une taxe similaire, le gouvernement de Kampala a été contraint de faire marche arrière en moins de six mois. Bien que le secteur se soit finalement stabilisé, l’impact sur les populations modestes a été disproportionné.
Un risque de régression numérique
Ce qui se joue derrière cette nouvelle taxe dépasse largement la simple question fiscale. C’est l’avenir de la digitalisation de l’économie sénégalaise qui est en ligne de mire. En moins d’une décennie, le mobile money s’est imposé comme une infrastructure sociale et économique incontournable : transferts familiaux, petits commerces, paiements de factures ou de transports publics comme le TER et le BRT… Il est au cœur du quotidien des Sénégalais.
Mais avec l’introduction d’une taxe de 0,5 % sur chaque transaction, c’est un véritable coup de frein qui s’annonce. Chacun devra désormais payer plus cher pour des gestes de la vie courante. Le risque est évident : voir les usagers délaisser les solutions numériques pour retourner à l’argent liquide. Un retour en arrière qui ferait voler en éclats des années d’efforts en faveur de l’inclusion financière, de la transparence et de la traçabilité des transactions. En voulant élargir l’assiette fiscale, l’État prend le risque de casser l’un des rares moteurs d’innovation et de modernisation du pays.
L’urgence d’une concertation nationale
Face à ces enjeux, il urge d’organiser une large concertation nationale associant tous les acteurs du secteur. L’objectif : concevoir une fiscalité équilibrée qui préserve les acquis de l’inclusion financière tout en contribuant aux finances publiques. Le défi pour le gouvernement sénégalais sera de trouver le bon équilibre entre impératifs budgétaires et préservation d’un écosystème numérique qui bénéficie à l’ensemble de la population, particulièrement aux plus démunis.