jeudi, mars 28, 2024

Bénin – ARCEP : Rafiatou Monrou, l’ex-ministre de l’Economie numérique, avait violé la Constitution

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Le premier remaniement ministériel de Patrice Talon s’est opéré le 27 octobre 2017. Neuf nouveaux ministres sont entrés dans le gouvernement et sept en sont sortis. Parmi eux, Rafiatou Monrou, désormais ex-ministre de l’Economie numérique et de la Communication. Elle a été remplacée par Aurélie Adam Soulé Zoumarou.

Difficile à épiloguer sur les raisons de son départ, malgré son bilan jugée élogieux par bon nombre d’acteurs. Mais, d’autres estiment que la décision de la Cour constitutionnelle du 19 octobre 2017 reconnaissant qu’elle a « méconnu » la constitution a pesé en sa défaveur. Surtout son timing, car intervenue dans un contexte où les rumeurs d’un probable remaniement circulait.

TIC Mag vous propose l’intégralité de la décision de la Cour constitutionnelle à la suite du recours de M. Amédée Vignon Serge pour violation des articles 35, 53 et 124 de la Constitution au sujet du Maintien des membres de l’Arcep-Bénin, le régulateur des communications électroniques.

Décision DCC 17-209 du 19 octobre 2017

« La Cour constitutionnelle, Saisie d’une requête du 21 avril 2017 enregistrée à son secrétariat le 24 avril 2017 sous le numéro 0741/106/REC, par laquelle monsieur Amédée Vignon Serge WEINSOU forme un recours pour violation des articles 35, 53 et 124 de la Constitution ; Vu la Constitution du 11 décembre 1990 ; Vu la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 ; Vu le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ; Ensemble les pièces du dossier ; Ouï Monsieur Zimé Yérima KORA-YAROU en son rapport ;

Après en avoir délibéré,

Contenu du recours

Considérant que le requérant expose : «… Suivant la décision DCC 17-023 du 02 février 2017, la Cour constitutionnelle a déclaré contraires à la Constitution, la décision prise par le Gouvernement en Conseil des ministres du 27 juillet 2016, objet du relevé des décisions administratives du 28 juillet
2016 ainsi que le décret n°2016-631 du 12 octobre 2016, pour violation des droits de la défense consacrés et protégés par les articles 17, alinéa 1er de la Loi fondamentale et 7.1. b), c), d) de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples » ; qu’il développe :

« Cette décision a été, à la diligence de la Cour, notifiée à monsieur le président de la République et publiée au Journal officiel. Curieusement et malgré la notification assurée au chef de l’Etat, madame la ministre chargée
de la Communication, le 12 avril 2017, soit près de deux mois plus tard, a organisé une séance de travail en présence des membres de son cabinet, des opérateurs de téléphonie mobile et ceux
de l’Autorité de régulation des Communications électroniques et de la Poste du Bénin (ARCEP-Bénin).

Pourtant, le président de la République a prêté serment, conformément aux dispositions de l’article 53 de la Constitution en ces termes: ‘’Devant Dieu, les mânes des ancêtres, la nation et devant le Peuple béninois, seul détenteur de la souveraineté ; Nous…, président de la République, élu conformément aux lois de la République jurons solennellement :

de respecter et de défendre la Constitution que le peuple béninois s’est librement donnée ;
de remplir loyalement les hautes fonctions que la Nation nous a confiées ;
de ne nous laisser guider que par l’intérêt général et le respect des droits de la personne humaine, de consacrer toutes nos forces à la recherche et à la promotion du bien commun, de la paix et de l’unité nationale ;
de préserver l’intégrité du territoire national ;
de nous conduire partout en fidèle et loyal serviteur du peuple. En cas de parjure, que nous subissions les rigueurs de la loi’’. Il ressort de la formule dudit serment en son premier tiret que le chef de l’Etat est le premier défenseur de la Constitution que le peuple béninois s’est librement donnée. Mieux, l’article 124 de ladite Constitution précise que ‘’Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application.
Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles’’. Par ailleurs, l’article 35 de la Constitution… dispose que ‘’Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun’’.

En l’espèce, monsieur le président de la République, en n’abrogeant pas le décret n°2016-631 du 12 octobre 2016, et surtout en ne mettant pas fin aux fonctions des membres de l’ARCEP-Bénin nommés suivant la décision prise par le Gouvernement en Conseil des ministres du 27 juillet 2016, a méconnu la Constitution en ses articles 35, 53 et 124. »

Qu’il ajoute : « Quant à madame la ministre chargée de la Communication, elle a violé les articles 35 et 124 de la Constitution, en ce qu’elle a ignoré la décision de la Cour et a continué, comme si de rien n’était, à collaborer avec l’équipe de l’ARCEP-Bénin issue de la décision du Conseil des ministres du 27 juillet 2016 » ; qu’il conclut : « Afin que force reste aux décisions de la Cour constitutionnelle, … déclarer … contraire à la Constitution, pour violation des articles 35, 53 et 124 de la Constitution, le non-respect par monsieur
le président de la République et madame la ministre en charge de la Communication de la décision DCC 17-023 du 02 février 2017 » ;

Instruction du recours

Considérant qu’en réponse à la mesure d’instruction de la Cour, le ministre de l’Economie numérique et de la Communication, madame Rafiatou MONROU AGBATCHI, écrit : « – Sur le moyen unique du requérant tiré de la violation des articles 35, 53 et 124 de la Constitution. Il est reproché à monsieur le président de la République d’avoir violé les dispositions de l’article 53 de la Constitution.

Aux termes de l’article 35 de la Constitution ‘’ Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun’’.

L’article 53 consacre la formule du serment du président de la République avant son entrée en fonction et l’article 124 indique que ‘’Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application. Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.

Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles’’.

Il résulte des éléments ci-dessus que le requérant Amédée Vignon Serge WEINSOU, en déférant à la haute juridiction sur le fondement des trois articles cités supra, le non-respect de la décision DCC 17-023 du 02 février 2017 relative à la décision du Conseil des ministres du 27 juillet 2016 et du décret n°2016-631 du 12 octobre 2016 ayant suspendu, puis relevé de leurs fonctions, les anciens membres de l’ARCEP-Bénin, demande à la Cour de se prononcer à nouveau sur le même objet.

Toutefois, selon une jurisprudence bien établie, notamment la décision DCC 96-030 du 26 juin 1996, la Cour, pour déclarer une nouvelle requête dont elle est saisie et portant sur le même objet, irrecevable, a décidé que: ‘’L’article 124 de la Constitution confère aux décisions de la Cour Constitutionnelle l’autorité de la chose jugée’’.

En conclusion, sur le fondement de l’article 124 de la Constitution, je prie la haute juridiction de constater que la requête de monsieur Amédée Vignon Serge WEINSOU concerne le même objet, la décision du Conseil des ministres relative aux anciens membres de l’ARCEP-Bénin, et de la déclarer irrecevable » ;

Lire aussi : Bénin: y a-t-il eu fraudes fiscales dans les sociétés de téléphonie mobile ?

Analyse du recours

Considérant qu’aux termes des articles 3 alinéa 3 et 124 de la Constitution : « Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels » ;

« Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application. Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles » ; que par ailleurs, l’article 34 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle dispose : « Conformément à l’article
124 de la Constitution, une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application. Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.
Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles.
Elles doivent en conséquence être exécutées avec la diligence nécessaire.» ; qu’il s’ensuit donc que le
non-respect des décisions de la Cour constitutionnelle constitue en soi une violation de la Constitution;

Considérant que par la décision DCC 17-023 du 02 février 2017, la Cour a dit et jugé que « La décision du Conseil des ministres du 27 juillet 2016, objet du relevé des décisions administratives du 28 juillet 2016 et du décret n°2016-631 du 12 octobre 2016, est contraire à la Constitution en ce qui concerne les membres de l’ARCEP-BENIN » ; qu’il en découle, eu égard à l’article 3 alinéa 3 précité de la Constitution, que le décret n°2016-631 du 12 octobre 2016 portant relèvement de fonction et abrogation de décrets de nomination à l’ARCEP ainsi que les actes administratifs consécutifs audit décret sont nuls et non avenus ; qu’ainsi, le ministre de l’Economie numérique et de la Communication, madame Rafiatou MONROU AGBATCHI, en organisant une séance de travail et en y invitant les nouveaux membres de l’ARCEP-Bénin nommés à l’issue du Conseil des ministres du 27 juillet 2016, a méconnu les articles 3 alinéa 3 et 124 précités de la Constitution, et l’article 34 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, décide :

Article 1 er.– Le ministre de l’Economie numérique et de la Communication, Madame Rafiatou MONROU AGBATCHI, a méconnu la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera notifiée à monsieur Amédée Vignon Serge WEINSOU, à madame le ministre de l’Economie numérique et de la Communication, à monsieur le président de
la République et, publiée au Journal officiel.

Ont siégé à Cotonou, le dix-neuf octobre deux mille dix-sept

Messieurs Théodore HOLO, président

Zimé Yérima KORA-YAROU, vice-président

Simplice C. DATO, membre

Bernard D. DEGBOE, membre

Madame Marcelline-C. GBEHA AFOUDA, membre

Monsieur Akibou IBRAHIM G, membre

Madame Lamatou NASSIROU, membre

Le rapporteur, Zimé Yérima KORA-YAROU

Le président, Professeur Théodore HOLO »

Source : Ticmag.net