jeudi, avril 25, 2024

Le pillage massif des données des utilisateurs permet d’asseoir des monopoles dans la durée

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Le 15 décembre, la Commission européenne présentera deux projets de loi, l’une pour les services digitaux et l’autre pour un marché digital. Il s’agira de mieux protéger les droits des citoyens et de réguler ces plateformes en forçant leur transparence, en créant la possibilité d’accès à leurs algorithmes, avec de nouveaux moyens pour limiter leur monopole voire faciliter leur démantèlement. Car autant dire les choses, c’est une colonisation numérique que nous subissons depuis trop longtemps. Pas seulement une domination technologique à laquelle nous peinons à répondre.

La crise du Covid-19 n’a fait qu’éclairer cette triste réalité, l’Europe digitale est aujourd’hui à la remorque des autres puissances. Ceux qu’on appelle les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple…), entreprises numériques transnationales extrêmement innovantes, collectent nos données, captent la valeur économique (70% des revenus de nos médias sont aspirés par les plateformes). Pire, elles déstructurent des marchés fondamentaux (information, publicité, commerce, tourisme et demain assurance, finance, santé…), se jouent de nos règles sociales et ont été complices de graves manipulations de l’information ou de propagation de la haine..

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Le pillage massif des données des utilisateurs – ressources du XXIe siècle – permet d’asseoir des monopoles dans la durée »

Des scandales en série (Cambridge Analytica, Leaks de toutes sortes, promotion de contenus poussées par des puissances étrangères …), amènent enfin les institutions européennes à réagir et on ne peut que s’en réjouir. La réalité, comme le suggérait le rapport sur la souveraineté médiatique européenne à l’heure numérique que j’ai remis à la Commission européenne en 2019, c’est que ces plateformes systémiques, c’est-à-dire capables d’influencer, même avec peu de parts de marchés, le fonctionnement des pans industriels entiers, des activités démocratiques mais aussi le comportement des individus, se comportent comme les pires entreprises coloniales d’ autrefois. Le pillage massif des données des utilisateurs – ressources du XXIe siècle – permet d’asseoir des monopoles dans la durée et d’attirer les meilleurs talents, le tout sans presqu’aucune contrepartie pour les sociétés qu’elles attaquent.

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Le 2 décembre, le commissaire Thierry Breton a annoncé pour la première fois un plan d’action industriel pour les médias, en particulier les médias d’information. L’enjeu est majeur : permettre l’autonomie stratégique de l’Europe en matière d’information et se doter des moyens pour accélérer la transformation numérique des médias, favoriser leurs coopérations, développer massivement la R&D et créer de nouvelles plateformes numériques d’agrégation de contenus permettant de réduire la dépendance aux GAFA et d’améliorer la qualité de l’information.

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Seul un véritable changement de modèle pourra changer la donne »

Le Digital Services Act et le Digital Market Act seront quant à eux des outils d’une réaction de régulation est indispensable et salvatrice, mais il faut la compléter. Le succès des GAFA comme des BATX asiatiques, est le fruit d’une stratégie industrielle d’ensemble portée par la Chine et les Etats-Unis, qui disposent de véritables marchés intérieurs, de transferts fluides entre défense et industries civiles mais aussi de commandes publiques à l’échelle continentale. Si les Européens veulent rivaliser en matière numérique, il faut bâtir d’urgence les différents piliers de la souveraineté numérique. Cela passe par la qualité de l’information, un vrai marché numérique unique sans entraves, une régulation efficace et la capacité à taxer fiscalement ces plateformes, une stratégie industrielle audacieuse et les commandes publiques continentales qui vont avec, ainsi que la fluidité entre recherche militaire et civile.

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Si ces conditions sont loin d’être réunies, le plan de relance européen de 750 milliards d’euros pourrait constituer une formidable opportunité d’avancer. Mais seul un véritable changement de modèle pourra changer la donne par l’innovation et des industries capables de créer les outils du XXIe siècle. L’Europe des scientifiques et inventeurs, celle de Faraday, Volta, Copernic, des frères Lumières et d’Einstein, cet espace de modernité où l’avion et la voiture sont devenus réalité doit participer à l’invention technologique du monde contemporain. L’Union européenne doit redevenir le lieu où s’invente l’industrie du futur dans l’intérêt de ses citoyens si elle ne veut pas devenir un espace informationnel, muséal et commercial sous dépendance extérieure.

Guillaume Klossa est l’auteur de Media for Good (éditions Débats Publics, préface Roberto Saviano, 2019).