mercredi, avril 24, 2024

Conditions pour faire participer pleinement les PME à la relance économique

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L’économie mondiale a été touchée de plein fouet par la pandémie du COVID 19, depuis plus d’une année. Au-delà des mesures sanitaires interdisant les rassemblements, tous les Etats du monde ont procédé à la mise en place de mesures de stabilisation de leurs économies en récession. La priorité a été accordée à la protection des personnes, en particulier les travailleurs.

La baisse de la production mondiale s’est accompagnée d’une rétraction du marché international. Sans être dans l’ère post COVID, les pays du monde développé ont initié des plans de relance et de réorientation de leurs économies. Cette relance s’effectue dans un contexte de dérèglements en matière de gestion économique et monétaire. Les paradigmes changent, et les règles sont moins contraignantes au plan macroéconomique. La stricte observance des critères de convergence n’est plus de mise ; les banques centrales, gardiennes de la stabilité monétaire, créent de la monnaie pour le financement des plans de relance. C’est ainsi que le plan de stabilisation et de relance des USA avoisine 5 000 milliards de dollars entre 2020 et 2021, soit (au taux de change actuel 549,15 FCFA pour 1 dollar) 2 745 750 milliards de FCFA financés sur déficit budgétaire !

Pour ce qui nous concerne, le plan de relance du Sénégal s’inscrit dans le PAP II ajusté et accéléré finalement estimé à 12 125 milliards FCFA pour la période 2019- 2023, et dont l’ambition est de maintenir l’économie sur la trajectoire d’émergence grâce à un taux de croissance moyen de 8,6 % sur la période 2021- 2023.

Prévu en 2020 pour 14 712 milliards FCFA (2019/2023), son montage financier s’établissait ainsi qu’il suit : secteur privé 4770 milliards fcfa (8,5 milliards de dollars) et partenaires au développement 9942 milliards (17,7 milliards de dollars). L’un des principes directeurs du PAP 2 A ajusté et accéléré (voir rapport final) est l’impulsion « d’un développement endogène essentiellement porté par les forces vives de la Nation.

À tous les niveaux de l’activité économique, en prenant en compte le principe d’efficacité, l’Etat comme les acteurs économiques devront placer, au centre de leurs préoccupations, le consommer local et le contenu local, respectivement en matière de demande et d’offre. Pour y arriver, il convient de réviser le modèle de développement, en vue notamment de produire, de plus en plus, ce que l’on consomme dans l’optique d’une souveraineté alimentaire, sanitaire et pharmaceutique, mais aussi en rendant le système éducatif plus performant». Ce principe directeur ouvrirait la voie à la promotion de l’entreprise locale, la souveraineté économique, la transformation des matières premières et l’orientation vers la substitution à l’importation comme stratégie développement.

L’homme d’affaires Serigne Mboup s’est fait l’écho de cette nouvelle orientation en proposant la mise en place d’un système de protection d’une industrie locale à créer en substitution aux tissus en provenance de Chine, ce qui, selon lui, générerait des millions d’emplois. Sans nul doute, le moment est propice pour l’émergence d’un secteur privé national fort comme souhaité par les autorités. Ce secteur privé à faire émerger n’est ni à la CNES (Confédération nationale des employeurs du Sénégal) ni au CNP (Conseil national du patronat), deux organisations constituées d’entreprises formelles travaillant sur le marché intérieur et ne créant pas suffisamment d’emplois à l’échelle souhaitée. Nous savons tous qu’au moins 300 000 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail sans qualification et qui ne sauraient donc être recrutés par les entreprises du secteur formel (3,6 % des emplois) faute de qualification, mais aussi du fait de la combinaison de plus en plus technologique des modes de production dans ces entreprises modernes. Conséquence : elles font de moins en moins appel au travail et à davantage de machines de dernière génération.

Miser sur des PME créatrices d’emplois ainsi que sur l’informel

La relance doit avoir comme objectif principal le soutien à une ceinture de PME davantage productrices d’emplois dans les secteurs porteurs de croissance, avec une large prise en compte des entreprises du secteur informel. Cette nouvelle vision inspirée par la crise implique nécessairement des pactes d’alliance avec le secteur privé national peu développé dans notre pays. Pour cela, il faut que l’accès aux ressources financières soit facilité. C’est l’heure, à notre avis, de créer de nouvelles institutions financières d’impulsion des PME, non calquées sur la structuration des banques commerciales mais spécialisées dans les corps de métiers d’artisanat et la petite transformation industrielle. Ce grâce à leurs experts. Il est notoire que les banques commerciales ne financent pas spécifiquement les PME, leur souci étant davantage de privilégier les fonds de commerce offrant tous les apaisements en termes de garanties et de mouvements d’affaires. Leurs excédents de ressources sont placés sur le marché monétaire ou financier pour conforter leurs marges en toute sécurité et non dirigés vers la prise de risques « PME ». Il y a, à notre avis, assez de banques de dépôts généralistes au Sénégal, alors que les PME souffrent d’un déficit de financement. Les principales banques de la place sont des filiales de groupes bancaires qui ne sont pas outillées pour financer les petites et moyennes entreprises. Les produits annuels de leurs activités, dividendes et autres frais payés au groupe, sont transférés à leurs sièges et leur trésorerie courante placée sur le marché monétaire ou financier. Les objectifs des banques commerciales étant de faire du profit essentiellement sur du court terme (produit des fonds utilisés, commissions sur diverses opérations et services), il n’y a pas de place pour le financement des PME.

Il appartient donc à l’Etat de mettre en place d’autres types d’institutions financières plus en rapport avec les besoins de toutes natures des PME.

La continuité du financement doit reposer sur la création d’institutions micro financières sectorielles (non généralistes), et non sur le système financier décentralisé peu outillé pour promouvoir, encadrer et financer les petites entreprises.

Pour des institutions de micro-finance spécialisées ou sectorielles

Des institutions financières centrées sur des secteurs d’activités sont les mieux adaptées à la situation actuelle des entreprises du secteur informel, de l’artisanat en particulier. Dans le secteur de la cordonnerie et de la bijouterie, par exemple, il y a de l’épargne placée dans les banques commerciales mais celles-ci ne sont pas outillées pour répondre à des besoins spécifiques liés aux cycles de production. Ce sont les professionnels de ces métiers qui sont en mesure d’appréhender la qualité des fonds de commerce, les marchés destinataires des produits, la saisonnalité des activités, et, par conséquent, d’apprécier finement les besoins d’encadrement et de financement des acteurs de ces secteurs.

Les institutions de microfinance actuelles instituées depuis 1995 n’ont pas su se spécialiser, et de ce fait fonctionnent comme des banques à une échelle plus réduite, avec en sus des organes dirigeants peu opérationnels, en particulier les organes de contrôle. Pourtant, l’Etat prévoit de mettre à leur disposition environ 100 milliards sous forme de prêts bonifiés dans le cadre de la relance. La DER est une réponse moins rigide aux besoins de financement du petit privé, parce que n’exigeant pas des conditions d’octroi de crédit impossibles à satisfaire pour des entreprises naissantes. Cette institution pêche cependant dans la gestion d’un volume important de dossiers de crédit, d’entreprises à accompagner ; elle court ainsi le risque d’enfreindre les règles en matière de distribution de crédit et de recouvrement. De surcroît, elle n’est pas outillée pour faire des crédits sectoriels maîtrisés.

La BNDE n’est pas une banque spécialisée, même si elle finance les PME. Or, celles-ci ont besoin d’encadrement, de conseils et de ressources financières, ce qu’aucune banque de la place ne peut offrir, faute d’expertise de leurs ressources humaines. De plus cette banque présente l’inconvénient d’avoir dans son tour de table de grosses entreprises privées dont le souci principal est de faire du profit et non de la promotion et du financement d’entreprise. Pour renforcer les institutions de financement spécialisées à créer, il faudrait intégrer dans le dispositif la création de fonds de garanties spécifiques, et solliciter des lignes de contre garantie auprès de banques de développement comme la Bad et la BOAD.

A notre humble avis, c’est l’heure de créer un réseau de PME impliquant le secteur informel qui génère près de 96,4 % des emplois contre 3,6 % d’emploi pour le secteur formel, et génèrent plus de 40 % du PIB, selon l’Agence nationale de la Statistique et de la Démographie (Ansd). Autrement, nous resterions dans la même configuration de génération d’une croissance économique peu créatrice d’emplois, tirée par les secteurs traditionnels (services, mines etc.) et dopée par les gros investissements d’infrastructures financés sur ressources externes, même si à l’horizon se profilent des revenus additionnels attendus de l’exploitation du gaz et du pétrole.

PAR ABDOUL ALY KANE