mardi, mars 19, 2024

Objets connectés : le design d’un produit doit indiquer son usage au consommateur

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Facebook annonçait début septembre le lancement sur le marché de lunettes d’un nouveau genre. Habile, la firme fondée par Mark Zuckerberg a su tirer le meilleur de l’expérience Google qui avait lancé son projet Glass, des lunettes à réalité augmentée, connectées et équipées d’une caméra intégrée et d’un micro. Sa version grand public avait été abandonnée au profit d’une version pour les professionnels.

Comme Google auparavant, Facebook s’est rapproché de Luxottica, la société détentrice de la marque Ray-Ban. S’adjugeant la notoriété de la célèbre marque, Facebook associe dans l’objet dénommé « Ray-Ban Stories » lunettes et production de stories, ces courtes vidéos caractérisées par un caractère éphémère qui fait leur succès.

Le produit rejoint ce que l’on désigne comme « innovation par recombinaison ». La nouveauté s’avère issue de produits existants que l’on va faire s’hybrider. Possédant des caractéristiques d’objets aussi distincts que sont des lunettes et des smartphones, les créations s’avèrent alors difficilement catégorisables. https://www.youtube.com/embed/_uOFWU4o3tw?wmode=transparent&start=0 Vidéo de présentation des Ray-Ban Stories (9 septembre 2021, Ray-Ban Films).

Comment seront-elles par conséquent perçues par le consommateur ? Notre étude portant sur le design d’objets de ce type montre qu’il est important de ne pas lui ôter toute référence à des catégories qu’il connaît.

Opticien ou rayon high-tech ?

Nos travaux mobilisent en particulier la théorie de l’affordance, développée par le psychologue américain James Gibson en 1979 et qui a trouvé un écho particulier chez les chercheurs en design. Celle-ci suggère que l’on perçoit les objets en fonction de ce qu’ils permettent de faire et non en fonction de leurs qualités.

Le design du Nabaztag a sans doute détourné le produit de sa cible de consommateurs idéale. Rama, Wikimedia Commons, CC BY-SA

Certains produits comme les montres connectées ont ainsi été plutôt bien assimilées par les consommateurs. D’autres innovations se sont, elles, avérées de véritables échecs. Le lapin Nabaztag, par exemple, n’est pas resté bien longtemps sur le marché. Lancé dans les années 2000, ancêtre des haut-parleurs intelligents, l’animal pensait devenir reconnaissable notamment grâce à son nombril. Son design semble néanmoins avoir engendré de la confusion aux yeux des consommateurs, ceux qu’il touchait n’étant in fine pas la cible idéale. Ils semblaient davantage imaginer en lui une sorte d’animal de compagnie qu’une enceinte lectrice de courriels.

Plusieurs témoignages mettent en évidence que l’affordance des Ray-Ban connectées est au cœur du discours promotionnel. Qu’en ont retenu de potentiels clients ? La question n’est pas neutre et déterminera notamment pour les clients où se rendre pour acquérir l’objet : chez l’opticien ? Au rayon high-tech d’une grande surface ?

Les Ray-Ban Stories restent-elles de simples lunettes parce qu’elles ressemblent à des lunettes ou y voit-on plus que ça ? Sommes-nous capables d’en déduire toutes leurs affordances, c’est-à-dire tout ce dont elles sont capables de faire ?

Catégorisation et frustration

Nos travaux attirent l’attention des fabricants sur l’importance du design des objets pour suggérer ses affordances. Aux yeux du consommateur, cela lui permet notamment de savoir s’il doit se référer à une catégorie qu’il connaît ou bien s’il doit comprendre qu’il y a là quelque chose de nouveau.

Autour d’un objet alors non commercialisé, le Flip Phone, un téléphone qui possède plusieurs écrans, une caméra et un clavier physique, nous avons réalisé 46 entretiens avec des individus recrutés au hasard. Nous leur demandions dans un premier temps ce qu’ils comprenaient des fonctionnalités de l’objet puis comment ils le catégorisaient. Il s’agissait aussi d’identifier s’il était perçu comme quelque chose de totalement nouveau (on parle d’« innovation radicale ») ou comme l’évolution de quelque chose de déjà connu (dans ce cas il s’agit d’une « innovation incrémentale »).

Selon la théorie de l’affordance, le consommateur perçoit d’abord les objets en fonction de ce qu’ils permettent de faire. Pixabay, CC BY

Ces deux dimensions nous ont conduits à dresser une typologie des individus face à l’innovation. Ceux qui perçoivent bien les affordances et comprennent qu’il y a là une innovation incrémentale identifient bien un objet hybride. Un enquêté décrit :

« Même si c’est un téléphone, l’objet semble vraiment multifonctionnel et possède sûrement une caméra. »

À l’opposé, ne pas comprendre les affordances et se sentir en présence de quelque chose de complètement nouveau conduit à des erreurs, voire à l’impossibilité pour le consommateur de catégoriser l’objet.

« Difficile de dire à quoi sert cet objet… C’est assez frustrant en fait. »

Un sentiment qu’il semble falloir éviter pour les marketeurs. Entre ces extrêmes, certains percevront l’innovation comme radicale tout en intégrant bien les affordances. Ils proposeront alors de placer l’objet au sein d’une catégorie nouvelle.

Comme les montres connectées ?

Le design du produit informe l’utilisateur sur sa facilité d’usage, sur ce qu’il permet de faire et sur le fait qu’il soit intuitif ou non. Il doit donc exprimer les potentialités d’action du produit et inclure une relation visible entre les actions et les résultats afin de faciliter la compréhension, l’évaluation ainsi que l’adoption du nouveau produit.

Il semble que les designers aient intégré l’affordance dans le design des Ray-Ban Stories de manière à ce qu’elle soit visible non seulement par celui qui porte le produit mais également par son entourage. Cela se fait à travers les caméras visibles et la lumière LED montrant que l’utilisateur est en train de filmer. Cela constitue, par ailleurs, un pas non négligeable pour rendre visible aux autres certaines affordances de leur produit et rassurer l’entourage quant à la protection de son intimité et de sa vie privée.

À ce stade, il reste cependant difficile de savoir comment les Ray-Ban Stories sont perçues, catégorisées, évaluées et si bien évidemment elles vont être adoptées par les consommateurs à l’instar des montres connectées.

Dhouha El Amri, Maître de conférences en sciences de gestion, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.