vendredi, mars 29, 2024

Transparence des élections territoriales au Sénégal: La condition sine qua non est la destruction du fichier électoral illégal de la coalition au pouvoir

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Durant la campagne de parrainage de l’élection présidentielle de 2019 au Sénégal, un membre de la coalition politique au pouvoir a annoncé le 30 novembre 2018 la collecte de plus de 2 000 000 de parrains. Cette annonce fut confirmée, le lendemain par un autre membre de cette même coalition.

Finalement, à quelques jours du scrutin, par une lettre publiée par la presse, le président de la coalition au pouvoir, candidat pour un 2ème mandat présidentiel, a annoncé qu’ils ont finalement collectés des données personnelles de plus de 3 600 000 électeurs.

En faisant une telle annonce, il voulait, vraisemblablement, dire aux sénégalais qu’il avait plus de 3 600 000 «­promesses de vote­» sur un corps électoral de 6 683 043 pour gagner l’élection au 1er tour. Et en continuant à divulguer cette information, ils préparaient, sans doute, l’opinion à accepter une telle éventualité au moment où une partie affirmait qu’une victoire au 1er tour était impossible.

Cependant, l’analyse de cette campagne de parrainage révèle, qu’il est impossible de collecter autant de données de personnes en un peu plus de 3 mois. En outre, il est crucial de constater et faire constater l’illégalité de cette collecte de données personnelles des électeurs.

Lancé le 27 août pour se terminer le 12 décembre 2018, la campagne de parrainage (collecte de données personnelles des électeurs) s’est déroulé en violation du droit communautaire (CEDEAO, Acte additionnel A/SA.1/01/10) et du droit national du Sénégal (loi n° 2008-12 du 25 janvier 2008).

L‘article 41, alinéa 10 de la loi nationale et l’article 31, alinéa 10 de la CEDEAO précisent «­qu’il est permis de procéder à la collecte et au traitement de données personnelles qui révèlent les opinions politiques dans le cadre des activités légitimes d’une association ou de tout autre organisme à but non lucratif et à finalité politique. Toutefois, le traitement doit se rapporter aux seuls membres de cet organisme ou aux personnes entretenant avec lui des contacts réguliers liés à sa finalité et que les données ne soient pas communiquées à des tiers sans le consentement des personnes concernées.­»

Autrement dit, la collecte des données personnelles des électeurs devait se limiter uniquement aux membres des partis politiques et à leurs contacts réguliers (ceux qui participent aux activités du parti sans être membres, par exemple, des sympathisants).

L’article 12, alinéa 4 de la CEDEAO et l’article 20, alinéa 4 de la loi nationale, disposent­: «­les traitements portant sur un numéro national d’identification ou tout autre identifiant de portée générale sont mis en œuvre après autorisation de la Commission des Données Personnelles ».

Parmi les informations collectées sur les électeurs, figurent aussi bien le numéro de la carte d’identité CEDEAO que le numéro de la carte d’électeur. Par conséquent, aucun candidat à la candidature à l’élection présidentielle de 2019, n’aurait dû recevoir la fiche de collecte et la clé USB de la Direction Générale des Élections sans la présentation d’une autorisation de la Commission de Données Personnelles (CDP) précisant entre autres l’identité du responsable du traitement, l’origine des données, la finalité, la durée de conservation, les destinataires, la sécurité, l’interconnexion, les transferts et le sous-traitant (Article 7, CEDEAO et article 22 Loi nationale).

L’article 25 de la CEDEAO et l’article 35 de la loi nationale disposent­: «­les données doivent être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne peuvent­ pas être traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités. Elles doivent être adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées ultérieurement­ ».

Autrement dit, en vertu des principes de finalité et de proportionnalité, aucun des candidats n’aurait dû collecter plus du nombre de parrains nécessaires à la validation de sa candidature à savoir 66 ­820 électeurs.

A la lumière de tout ce qui précède, la campagne de parrainage s’est déroulée en violation de la loi sur la protection des données personnelles du Sénégal.

En outre, il est à noter que c’était une obligation légale pour la CDP de garder à l’esprit que le simple fait que des données personnelles des électeurs soient enregistrées dans un fichier tenu par un candidat, un parti ou une coalition politique, susceptible dans le traitement de révéler l’opinion politique, réelle ou supposée, des électeurs concernés, représentait un danger pour la transparence de l’élection présidentielle de 2019.

Aussi, la CDP, autorité administrative indépendante, aurait dû se montrer garante du traitement à des fins spécifiques, licites, loyales et transparentes des données personnelles des électeurs sénégalais. Elle n’en fut rien, malgré ses pouvoirs de contrôle à priori et à posteriori.

En effet, Il n’a pas été constaté dans ses différents avis trimestriels, un travail en vue de faire respecter la loi. (Articles 25, 27 de la loi nationalearticle 19, alinéa h et q, Acte additionnel CEDEAO)

Cette police des données personnelles au Sénégal dont la Présidente est membre du parti au pouvoir, s’est juste contentée d’élaborer un mini guide et un communiqué de presse.

Il est important de remarquer qu’aucun des candidats, n’a déposé plus du nombre de parrains nécessaires au Conseil Constitutionnel pour la validation de sa candidature, à savoir 66 820. Dès lors, la question qui s’impose est de savoir pourquoi collecter des données personnelles de 3 600 000 d’électeurs, si on a besoin que de 66 820 électeurs.

D’ailleurs, pour collecter autant de données, il faut une logistique très lourde et le coût financier est très élevé, sans compter la durée de collecte qui peut s’étaler sur plusieurs mois voir plus d’une année mais aussi la possibilité de détourner des fichiers publics à des fins politiques. Aussi, l’objectif ne pouvait être que de se doter d’une base de données sur des électeurs.

Enfin, il est à noter qu’on ne peut pas traiter manuellement cette vaste quantité de données personnelles, ensuite, il est difficile de le faire dans un fichier Excel car son nombre maximum de lignes par page est de 1 048 576 lignes, donc nécessairement, une base de données dynamique a été utilisée.

A cet effet, Il a été révélé que le candidat de la coalition au pouvoir avait recruté un conseiller en «Big data» la société Française Spallian qui dispose d’un logiciel de big data électoral dont la base de données dynamique peut être alimentée directement par des équipes sur le terrain avec une application web et mobile.

Aucune investigation ne fut lancée par la CDP pour faire la lumière sur ce logiciel électoral utilisé par le président de la coalition au pouvoir. Pire encore, aucun contrôle de la CDP, sur une coalition politique qui annonce publiquement avoir collectée les données personnelles de plus de 3 600 000 électeurs, et ce sans son autorisation. Dans un pays démocratique, une enquête aurait été ouverte.

Ainsi donc, les violations de la loi nationale et communautaire sur la protection des données personnelles, les manquements de la CDP dans l’application de la loi, le recrutement d’un conseiller en «­big data­», ont permis à la coalition politique au pouvoir au Sénégal de se doter de sa propre base de données sur des électeurs, en termes plus clairs, son propre fichier électoral.

Un fichier électoral illégal, plus puissant que le fichier général des électeurs du Sénégal car en sus des informations d’identification et de localisation, il contient l’opinion politique de l’électeur.

Un parti politique ou une coalition politique qui dispose de son propre fichier électoral sur les électeurs, n’existe dans aucun pays démocratique du monde. Un tel fait n’existe qu’au Sénégal.

Pour rappel lors des primaires de 2017 en France, quand les partis politiques avaient fait appel aux électeurs français pour y participer, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) s’était mobilisée pour qu’aucun parti politique ne profite de l’occasion pour se créer sa propre base de données sur les électeurs français. Tout le contraire de l’autorité du Sénégal.

L’utilisation de ce fichier électoral illégal par son croisement avec le fichier général des électeurs, permet d’identifier d’avance les tendances de vote dans toutes les communes du Sénégal, et ainsi, pouvoir créer des dysfonctionnements, des manquements et faire de la corruption électorale par du porte à porte dans les zones identifiées défavorables. Ainsi, la coalition au pouvoir na va plus en campagne électorale, ni à l’aveuglette, ni au hasard.

En effet, d’avance, elle sait devant quelle porte frapper ou ne pas frapper, quel électeur assurer le vote et quel électeur priver de vote (avec une administration aux ordres la tâche est facile). La victoire est ainsi programmée et assurée à l’avance. Il ne reste alors plus qu’à élaborer et mettre en œuvre une stratégie de communication politique pour faire accepter les résultats du scrutin et éviter des manifestations de la population.

Au regard de ce qui précède, non seulement, les insuffisances de la CDP invalident la transparence de l’élection présidentielle du 24 février 2019, ­ mais pire encore, elles remettront en cause toute élection à venir au Sénégal, si aucune action corrective n’est entreprise.

En effet, la conservation et la réutilisation de ce fichier électoral illégal assure d’avance la victoire de la coalition au pouvoir à tout scrutin. Aussi, il y a dans l’immédiat, l’urgente nécessité de veiller à ce qu’il soit détruit. C’est une obligation légale pour la CDP de veiller à ce que ça soit fait.

En effet, en raison du principe de limitation des finalités, un fichier constitué pour les besoins d’une finalité doit être détruit à la réalisation de la finalité. Aussi, ce fichier électoral illégal constitué pour l’élection présidentielle de 2019, doit être détruit. Il n’est pas permis de le réutiliser pour de futures campagnes électorales.

En outre, en vertu du principe d’une durée de conservation limitée des données, les informations enregistrées dans un fichier ne peuvent pas être conservées indéfiniment. Une durée de conservation doit être fixée selon la finalité de chaque fichier. (Articles 35, Article 72 Loi nationaleArticle 25 Acte additionnel CEDEAO)

En considérant ce qui précède, il n’a pas été constaté dans les avis trimestriels de la CDP, une information qui va dans le sens de la destruction de ce fichier électoral illégal. Aussi, la CDP doit être interpellée sur l’effectivité de la mise en œuvre de ses pouvoirs à posteriori de contrôle pour sa destruction.

A cet effet, la loi en cours au Sénégal sur le droit à la protection des données personnelles, ne permet ni à une association à un parti politique de saisir la CDP (Article 13 Acte additionnel).

Cependant, n’importe quel citoyen, soucieux d’un processus électoral transparent, de préservation de la démocratie, peut le faire. La CDP est tenue de répondre, à défaut, la chambre administrative de la Cour Suprême est à saisir ou la CEDEAO.

Une démarche urgente et cruciale, qui demande une mobilisation citoyenne et politique, pour garantir la transparence de toute élection au Sénégal, d’autant plus que, dans ce processus électoral des élections territoriales de janvier 2022, il n’a pas été constaté, ni sur le site web de la CDP, ni sur un autre outil de communication, une campagne d’informations des candidats indépendants sur les principes clefs à respecter dans le cadre de la collecte des données personnelles des électeurs pour le parrainage de leurs candidatures.

Pour rappel en 2014, en prélude aux élections locales, la CDP par un communiqué de presse, avait rappelé aux candidats, partis ou coalitions de partis, tout comme les membres de leur équipe de campagne, qu’ils devaient se conformer aux dispositions de la loi n°2008-12 du 25 janvier 2008 sur la protection des données à caractère personnel lorsqu’ils constituent des fichiers de données nominatives ou lorsqu’ils ont recours à de tels fichiers.

Il est à noter qu’à l’époque la disposition du code électorale sur le parrainage qui institue la collecte des données personnelles des électeurs n’existait pas.

Ce nouveau manquement de la CDP, en perspectives des élections territoriales de janvier 2022, favorise à nouveau, une collecte illégale et incontrôlée des données personnelles des électeurs sénégalais. Ainsi, le processus électoral du Sénégal volontairement piégé est en cours de consolidation.

L’application du cadre législatif et réglementaire de protection des données personnelles en contexte politique et électoral par la CDP et son respect par les partis politiques et coalitions de partis politiques sont essentiels pour sécuriser la transparence du processus électoral et protéger la démocratie. A cet effet, une mobilisation citoyenne et politique s’impose.