vendredi, avril 19, 2024

Justice : ils ne doivent pas être nommés

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La justice

Lorsque l’Homme arrête de pratiquer la justice, il perd son rang de maître du règne animal. Pire, il incarne le mal dans ce règne parce que les autres espèces animales ne sont pas mues par l’intention de nuire ou par des intérêts superflus et égoïstes mais par la volonté de vivre. Ils peuvent paraître injustes et violents parce que tout simplement poussés par la Nature. Par l’instinct de conservation.

Si l’Humanité est arrivé à générer des sociétés organisées, c’est parce que l’Homme aspire naturellement à la justice, en tant que principe philosophique et moral. Des groupes d’individus ont pu donc cohabiter et interagir grâce à un minimum consensuel de justice. Cette dernière étant un idéal à poursuivre sans relâche. La justice est donc le ciment de la coopération inter-humaine – au sens de Noha Harari dans Une brève histoire de l’Humanité – qui a propulsé l’Homme au sommet du règne animal.

Par ailleurs, l’être humain animal est déchiré entre deux aspirations souvent en conflit, pour ne pas dire antinomiques : la volonté de puissance à la Nietzsche et la volonté de justice à la Saint Thomas d’Aquin. Dans ce contexte mental, l’Homme expose souvent une de ses plus grandes faiblesses, à savoir l’égoïsme. Dominant, il accomplit sa volonté de puissance, dominé, il a envie de justice. Sauf pour les individus dont la vertu transcende la nature. A la formation des premières civilisations, l’Homme devait donc trouver un principe social lui évitant que ce déchirement naturel fasse partir sa société en lambeau. Ce principe était la justice.

Et c’est en abordant cette dialectique par la justice que l’Homme a montré tout son  génie. Depuis la formation des premières sociétés humaines, il a fait de la justice un principe central dans l’administration de la cité. Par nécessité. En effet, l’histoire montre que toute société où règne l’injustice à ciel ouvert est vouée à la ruine. Le philosophe disait que la civilisation n’est qu’un vernis couvrant un océan de barbarie. Il suffit que ce vernis – dont la principale composante est la justice – craquelle pour que jaillisse l’horreur ou/et la chute du prince.

L’histoire des peuples est jonchée d’illustrations de cette assertion. J’invite à revisiter : les causes de la révolution française de 1789 alimentée par l’injustice que le tiers état subissait de la part du clergé et de la noblesse ; l’origine de la révolution des torodos de 1776, qui ont pris le dessus sur la dynastie Denianké pour réparer des injustices, grâce à Thierno Souleymane Baal et ses partisans ; l’histoire de la chute de l’empire du Djolof du fait de la révolte et de la victoire sur son empereur, en 1549, du jeune Amary Ngoné Sobel pour sauver l’honneur de son père, Lamane Déthié Fou Ndiogou Fall, et du Cayor, victimes des caprices impérieux ; les causes de la chute/fuite du tyran Daou Demba, 6ème Damel du Cayor ; et plus récemment, dans les vingt dernières années, la décomposition de certains pays à travers le monde à cause d’injustices sociales et/ou politiques. En remontant plus loin dans le temps, jusqu’à la Première Période intermédiaire de l’Egypte (entre le 22ème et le 21ème siècle avant notre ère), on peut trouver des récits de révolution sociale semant l’anarchie, notamment contre la justice. Aussi, le proverbe oriental qui stipule qu’un roi sans justice est une rivière sans eau prend-t-il tout son sens.

Les juges

La justice comme principe fondamental – mais très complexe – de la vie en société civilisée, requiert, pour son exercice, que la société forme des experts en la matière. C’est pour cela d’ailleurs, que la science juridique fait partie des premières  disciplines enseignées dans les premières universités au monde. C’était une demande sociale, or le concept d’université a été créé dans le but de produire du savoir au service de la communauté. Cependant, il faut se rendre à l’évidence que, s’il existe x% de citoyens de peu de vertu dans une société, on peut s’attendre à ce que ce pourcentage soit le même pour ses étudiants de peu de vertu en sciences juridiques, comme dans toutes les autres disciplines. Néanmoins, le juge étant idéalement et philosophiquement le gardien de la vertu dans une société, un filtre très serré doit impérativement être appliqué lorsqu’il s’agit de choisir, parmi les diplômés des facultés de droit, l’élite qui doit être portée à la tête de la magistrature d’un pays.

Saint Thomas disait : nous ne sommes pas déclarés justes du fait que nous connaissons droitement quelque chose. Effectivement, il faut certes être pétri de compétences en sciences juridiques pour juger, mais aussi et surtout armé d’une vertu largement au dessus de la moyenne pour mériter d’être hissé au rang de juge de la société. Des juges de peu de vertu et/ou de compétences ne doivent en aucun cas être nommés à la tête de la magistrature dans une société civilisée. Juger une société est une mission trop sérieuse et trop complexe pour être exercé par « Monsieur ou Madame n’importe qui ».

A cet égard, dans toutes les sociétés, il faut prôner l’aristocratie de la vertu et de la compétence afin d’exaucer le fameux voeu du mathématicien-philosophe-théologien du 17ème siècle Blaise Pascal qui disait : Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste.

 

Abdou SENE

Professeur de mathématiques appliquées

à l’Université numérique Cheikh Hamidou Kane (ex UVS)

04 juin 2023