Ils se sont réunis encore cette semaine, les jeunes reporters du Sénégal. Ils parlent entre eux, ils font des panels, ils interpellent le pouvoir. Mais à bien les écouter, on croirait entendre leurs aînés, Mamoudou Ibra Kane, Cheikh Yerim, Maimouna Ndour, Mamadou Sy Tounkara ou Bougane. Même discours, mêmes postures, mêmes formules : répression de la presse, manque de liberté d’expression, urgence du dialogue. Dialogue avec qui ? Sur quoi ? Et surtout dans quel but ? Ils ne s’en rendent pas compte, mais ils suivent, pas à pas, le schéma que leurs aînés ont eux-mêmes fabriqué pour piéger tous les régimes successifs.
Ces jeunes journalistes sincères croient défendre la liberté de la presse alors qu’ils rejouent un théâtre dont ils ne maîtrisent ni le scénario ni les coulisses. Et pourtant, le vrai combat est ailleurs. Les vrais défis sont ailleurs. Ils ne sont ni dans le discours du pouvoir, ni dans les réactions des ONG ou France 24, ni dans les classements de Reporters Sans Frontières. Ils sont dans les angles morts. Dans ce que le Code de la presse n’a pas prévu. Dans ce que leurs aînés ont volontairement laissé dans le flou pour mieux dominer le système.
Le premier piège est celui de la diversion. Dès la victoire du président Bassirou Diomaye Faye, les anciens patrons de presse ont pris les devants. Ils ont crié à la régulation, exigé l’application du Code, dénoncé les chaînes informelles, les intrus, ceux qui se sont glissés dans le métier disent-ils, tout en sachant que ce code, pourtant revu en 2017, était un outil dépassé. Un outil pensé pour exclure, pas pour intégrer. Un outil conçu pour verrouiller un cercle, pas pour structurer un secteur.
Et quand le nouveau régime en toute franchise a répondu à l’appel, ils l’ont enfermé dans un faux débat. Celui de la répression. Celui de la liberté d’expression menacée. Ils lui ont imposé d’agir de suite avec comme objectif le discrédit dans le court terme quelle que soit la décision qui sera prise.
Une opération bien rodée et bien pensée en amont : tu fermes un média illégal, tu es liberticide. Tu réagis à une désinformation flagrante, tu es autoritaire. Tu touches à une rente, tu es un dictateur. Damn if you do, damn if you don’t. Ce piège, leurs aînés l’ont maîtrisé à la perfection. C’est la stratégie du chantage soft. On agite les ONG, on brandit les médias étrangers, on utilise des opposants comme TAS, qui partent sur France 24 pour crédibiliser, on lance quelques manifestations, journée sans presse, et on fait reculer le régime. Ce fut le cas sous Wade, sous Macky, et aujourd’hui encore on essaie avec Diomaye. Malheureusement pour eux le nouveau pouvoir n’a pas reculé. Ils ont affaires à des gens qui sortent tout juste de prison et qui ont subi pendant cinq ans insultes abus et tentatives d’assassinat. Aucune pression ne peut être exercée sur eux. Ce levier du chantage, ils ont réalisé que cela ne marchera pas !
Ils ont ouvert un second front, plus discret mais plus dangereux : l’élimination des voix nouvelles qui ont contribué à leur discrédit qui avait porté le combat du peuple. Pas celles des frappeurs qui cherchaient juste à gratter des conventions. Non. Celles des autodidactes. Ceux qui ont fait la victoire du peuple. Ceux qui ont informé juste, avec peu de moyens, mais avec rigueur et courage. Ceux qui ont décortiqué les manipulations chaque semaine. Ceux que le peuple écoutait et que le système ne pouvait plus acheter. Hommage ici à SA DIOGOU et à son équipe ! Personnage qui a ouvert la voix à d’autres par son courage, qui a mis en place solution TV pour être plus libre et défendre le PEUPLE. Décoré par le pouvoir en place ?
Ces gens-là sans diplôme qui drainaient plus de vus que tous les Ministres de Macky réunis, qui suscitaient plus l’attention du peuple que tous les journalistes alimentaires réunis. Ces gens dérangeaient, gênaient et continuent de déranger. Et pour les neutraliser, les anciens ont ressorti leur arme favorite : un Code de la presse obsolète, avec Sonko et Diomaye piègés et inconsciemment utilisés comme proxy pour éliminer ceux qui les empêchent de briller, de dérouler. Ce code de la presse rempli de verrous qui, si appliqués à la lettre avec rigueur balayera tout sur son passage.
Chers frères, le premier verrou dans ce code, c’est le verrou juridique. Le code impose dix ans d’expérience pour diriger un média. Un non-sens élitiste, qui éliminent 95% des nouvelles plateformes dans un monde où les plateformes numériques permettent à des jeunes d’entreprendre et de lancer des chaînes suivies par des millions de personnes au Sénégal et dans la diaspora. En Afrique du Sud, un jeune peut légalement fonder un média numérique avec une charte et une immatriculation simple. Chez nous, avec ce code tu es simplement dans l’illégalité, tu es un délinquant. Et pari réussi on accuse l’État.
Deuxième verrou, le verrou infrastructurel : les réseaux câblés informels, appelés Réseauman, sont une réalité dans toutes les grandes villes du pays et absents du code. À Ouakam, Ngor, Yoff, à Grand Médine, des milliers de foyers sont connectés en « close circuit » à des chaînes communautaires payant non déclarées, mais qui diffusent quotidiennement des programmes suivis et financés localement. Ces réseaux locaux ont vu le jour depuis les années 90 par une volonté des populations défavorisées de contourner les lourds montants des abonnements de Canal+ qui réclamait à l’époque mensuellement 50 000 CFA aux familles Sénégalaises et qui reversait à l’État du Sénégal que des miettes comme redevance. Ces réseaux sont devenus au fil des années de vrais centres de diffusion bien suivis par de dizaines de milliers de personnes par jour mais que le Code ignore. Au Kenya pourtant ces type réseaux en circuit fermé sont reconnus et régularisés, avec des licences allégées, une charte de contenu et un minimum fiscal. Chez nous, ces jeunes qui créent de l’emploi, certes précaire et non déclarés et très suivis, qui façonnent l’opinion locale, et utilisés par les politiciens qui savent où les trouver au besoin, n’existent dans aucune législation.
Troisième verrou, le verrou fiscal : certains influenceurs et créateurs de contenu dakarois gagnent aujourd’hui de l’argent « yéré yéré » comme disent les bambaras, sur TikTok, Facebook et YouTube. Ils ne sont pas journalistes, mais traitent des sujets d’actualité. Ils font de l’ombre aux vrais journalistes. Parfois même ils peuvent être journalistes et faire leur revue de presse matinale depuis leur voiture ou leur salon le soir et toucher des milliers de personnes, récolter de l’argent et ne payer aucun rond à l État à la fin de la journée. Nous ne ciblons personne ici, mais disons le, c’est de bonne guerre. Il n’y a pas de loi, ils sont en mode survie. Pourtant en France, depuis juin 2023, une loi impose l’enregistrement de tout influenceur au-delà d’un seuil d’audience. Chez nous ? Silence total. Et ces jeunes créateurs finiront soit persécutés, soit effacés ou encore récupérés par les politiciens et c’est la plus grande probabilité.
Quatrième verrou, le verrou géopolitique : ces créateurs sénégalais qui vivent en dehors du territoire national, à Paris comme ce fut le cas pour kalifone et maintenant Adamo, à Montréal comme Mollah Morgun, ou à New York comme récemment Nabou Dash, et qui influencent chaque jour le débat national. Ils traitent l’actualité, sont engagés politiquement, font plus de vus que nos médias locaux, font de l’ombre aux vrais journalistes et ne payent aucun rond de ce qu’ils récoltent en ligne. Ils peuvent être sincères ou manipulés, comme on l’a appris cette semaine avec la dame Dash qui s’est mise à traiter le régime de tous les noms alors qu’elle a été supposément rémunérée par un journaliste qui, lui même, a eu à plaider avec vigueur l’application de ce fameux code de la presse pour censurer les non journalistes comme Cheikh bara Ndiaye, les microbes du métier disaient-ils. Il l’avait non seulement théorisé sur les plateaux TV mais écrit dans son livre rédigé à Rebeuss nous dit-il. Ces « goulots qui étranglent la république », publiait-il. Mais aussi son porte-monnaie avait-il oublié de mentionner.
L’impact de ces diffuseurs depuis l’étranger sur la média sphère Sénégalaise est réel. Malheureusement, le Sénégal n’a aucun accord avec Meta, Google ou tiktok pour réguler ces contenus ciblés. L’Australie avec son modèle offensif, le News Media Bargaining Code de 2021 a forcé Meta et Google à payer les médias australiens pour tout contenu visible en Australie et envisage même une extension du Code des médias aux influenceurs puissants qui agissent comme des « médias alternatifs ». Le débat là-bas porte sur la création d’un registre des influenceurs comme en France d’ailleurs depuis 2023, pour les rendre responsables juridiquement. Ces gens là ont compris les enjeux et travaillent sur leur code médiatique en permanence sont-ils plus intelligents que nous ?
Autre problème absent du code, et des textes du CNRA, qui doit interpeler nos jeunes générations, et l’État, la gestion des insultes et du détournement de l’actualité par des bandits tapis à l’étranger. L’Allemagne l’a réussi avec la loi NetzDG adoptée en 2017, cette loi, surnommée « loi de l’application du droit sur les réseaux », vise à obliger les grandes plateformes comme Facebook, Twitter, YouTube, etc., à retirer dans un délai de 24 heures tout contenu manifestement illégal (propos haineux, négationnisme, diffamation, incitation à la haine, etc.). Mais ce qui est particulier dans le cas de la diaspora, c’est que cette loi s’applique également aux contenus diffusés depuis l’étranger dès lors qu’ils visent l’espace allemand ! Si ce contenu est accessible depuis l’Allemagne et vise le public allemand, il est soumis à la loi NetzDG. Au Sénégal où en sommes nous ? Tous les matins l’institution est fragilisée par les insultes de gens qui non seulement se font de l’argent sur le dos des Sénégalais, occultent les journalistes locaux et sèment le désordre.
Cinquième verrou, le verrou structurel : tous les médias sont traités de la même façon. Aucune classification thématique. Pas de différence entre une chaîne religieuse, un média politique, de divertissement, une radio culturelle, ou un site économique. Tout est noyé dans un même moule. Résultat : on ne peut ni encadrer, ni encourager, ni sanctionner intelligemment. Tout le monde peut parler de sécurité publique, aborder des questions sensibles. On l’a vu avec les mensonges et spéculations concernant le général Kandé et cette semaine avec le rappel des policiers récemment radiés. Ceci est la conséquence directe de la manque de classification des médias. Chacun peut traiter le sujet qu’il veut ! C’est un désordre qui nuit directement les jeunes générations de reporters qui pour certains se sont spécialisés dans des domaines précis.
Voilà le vrai Combat. Voilà les vrais débats. Voilà ce que les jeunes reporters doivent porter. Au lieu de se focaliser sur les aides. De toute façon les caisses de l’État sont vides. Car tant que ces verrous ne sont pas levés, même avec des milliards injectés, le système se reconfigurera dans six mois à l’identique. N’attendez pas que les gouvernements devinent vos réalités. Ils ne le feront pas à votre place. Ils n’ont pas le temps. C’est à vous d’imposer ces débats.
Le vrai combat dans l’immédiat n’est pas celui du confort encore une fois, des conventions ou subventions. On évolue pas dans un contexte ukrainien ou Palestinien sous les bombes, pour convaincre il faut informer juste.Le vrai enjeu c’est celui de la souveraineté médiatique. Celui du cadre et de la réforme du Code. Celui de la visibilité des nouveaux acteurs. Celui de la reconnaissance des réseaux locaux. Celui de l’équilibre entre diaspora et nation. Et ce combat-là, personne ne le mènera à votre place.
Alioune Camara
Spécialiste en Communication Stratégique
et en Gestion des Opérations