Près de deux enfants sénégalais sur trois reconnaissent avoir falsifié leur âge afin de s’inscrire sur les réseaux sociaux. C’est ce qu’a révélé ce mercredi la magistrate Aïssa Gassama Tall, directrice générale de la Protection judiciaire et sociale (DGPJS), lors d’un atelier à Kaolack consacré à la lutte contre les abus et l’exploitation en ligne des enfants.
Selon les données récentes de l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (ARTP), le Sénégal compte désormais plus de 8 millions d’utilisateurs d’internet, dont 62 % ont moins de 25 ans. Une connectivité massive qui, si elle traduit le dynamisme numérique du pays, expose aussi les jeunes à de multiples risques.
« D’après une étude de l’Alliance régionale des ONG pour la cybersécurité (ARONCY), près d’un enfant sur deux, soit 44 %, utilise les réseaux sociaux avant l’âge de 13 ans. Et environ deux tiers des mineurs reconnaissent avoir menti sur leur âge pour y accéder », a précisé Mme Tall.
Une jeunesse connectée, mais vulnérable
Intervenant à l’ouverture de l’atelier intitulé “Abus et exploitation en ligne des enfants : réponse judiciaire et prise en charge des victimes”, la magistrate a souligné la vitesse à laquelle évolue le paysage numérique, rappelant que les formes d’abus et d’exploitation suivent la même dynamique.
« Lors du lancement de la plateforme E-ARONCY, il y a quelques semaines, des données préoccupantes ont été rendues publiques, notamment sur la recrudescence des cas d’exploitation sexuelle et de radicalisation en ligne », a-t-elle ajouté.
En 2024, la Plateforme de lutte contre la cybercriminalité (PLCC) a enregistré une hausse de 40 % des signalements liés à l’exploitation en ligne des enfants. Ces signalements concernent principalement des cas de chantage sexuel, de diffusion d’images intimes, ainsi que des tentatives de recrutement à des fins terroristes.
Radicalisation et proxénétisme numérique : de nouvelles menaces
Les réseaux sociaux et les messageries cryptées deviennent de véritables terrains d’action pour les criminels. « Trois cas de radicalisation en ligne ont été démantelés dans la région de Ziguinchor l’an dernier », a indiqué Mme Tall, soulignant également la montée du proxénétisme numérique.
En 2023, douze réseaux de proxénétisme ont été démantelés au Sénégal, plusieurs impliquant des adolescents via des applications populaires comme WhatsApp et TikTok.
Renforcer la protection sans freiner les opportunités numériques
Pour faire face à cette menace grandissante, la directrice de la DGPJS a rappelé l’importance de la Convention de l’Union africaine sur la cybersécurité et la protection des données personnelles, adoptée à Malabo en 2014. Ce texte pose les bases d’un espace numérique africain « sûr et fiable ».
« Au-delà de la sécurité, cette convention promeut l’autonomisation numérique de l’enfant. Il s’agit de trouver un équilibre entre protection contre les prédateurs en ligne – abus, exploitation, harcèlement, divulgation non consentie d’images – et accès aux opportunités offertes par le numérique pour l’éducation, l’épanouissement et la citoyenneté », a expliqué Mme Tall.
Elle a enfin souligné que cet atelier constitue une réponse concrète à cette double exigence : renforcer la protection des enfants tout en maintenant leur accès au savoir et à l’innovation.