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Nouveau code des communications électroniques du Sénégal : Aperçu sur les principales innovations

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Le 28 novembre 2018, le Sénégal a adopté la loi n° 2018-28 portant code des communications électroniques. Cette loi abroge et remplace la loi n° 2011-15 du 27 décembre 2011 portant code des télécommunications.

La nouvelle loi s’inscrit dans un contexte de développement croissant des investissements dans le domaine numérique et son impact corrélatif sur l’économie sénégalaise. Elle vise à renforcer le rôle central des télécommunications et de l’économie numérique dans la stratégie de développement du Sénégal. Elle contribue également à la mise en œuvre de la stratégie Sénégal numérique et favorise le développement harmonieux des acteurs du marché en assurant la fourniture de services de communications électroniques de qualité.

Il s’agit d’un dispositif plus exhaustif qui prévoit par ailleurs l’édiction de plusieurs décrets d’application. Le nouveau code s’applique ainsi aux opérateurs et fournisseurs de services de télécommunications dans un délai de 6 mois suivant son entrée en vigueur. Les droits et obligations issus des licences, autorisations et cahiers de charges en cours sont toutefois maintenus jusqu’au renouvellement desdites licences et autorisations.

La présente étude revient sur les principales innovations et dresse un tableau synoptique des évolutions entre les codes de 2011 et 2018.

Cadre institutionnel

Désormais, le cadre institutionnel du secteur des télécommunications est étoffé avec la clarification du rôle des institutions intervenant dans le secteur.

Stabilisation du régime de l’autorité gouvernementale

Le régime de l’autorité gouvernementale reste presque inchangé.Son rôle en matière de mise en œuvre de la politique de l’Etat relative au secteur des communications électroniques demeure quasiment identique. L’autorité gouvernementale participe ainsi au développement des communications électroniques au Sénégal et assiste l’État dans l’élaboration des normes juridiques dans le secteur. Outre ce rôle essentiellement politique, l’autorité gouvernementale décide au nom du gouvernement du lancement de la procédure d’appel à concurrence notamment pour l’attribution de licences.

Renforcement des pouvoirs de l’autorité de régulation

Les pouvoirs de l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) sont désormais renforcés notamment en matière de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles.

Outre ses attributions traditionnelles en matière consultative qui sont maintenues, l’ARTP dispose désormais d’un pouvoir de saisine d’office pour rendre une décision sur la réalité des pratiques anticoncurrentielles. Elle dispose également de pouvoir d’enquête et d’instruction [1]. Ainsi, lorsqu’elle constate des pratiques anticoncurrentielles, elle peut prendre de décisions allant des mesures conservatoires aux astreintes en passant par des sanctions pécuniaires [2].

A la lumière du nouveau dispositif, il ressort que les pouvoirs de l’ARTP en matière de pratiques anticoncurrentielles se trouvent renforcés. Toutefois, ce renforcement pose problème si l’on sait que les mêmes pouvoirs sont reconnus à la Commission de l’UEMOA en vertu de l’article 90 du traité de l’UEMOA et de son règlement d’application [3]. Autrement dit, en matière de contrôle de pratiques anticoncurrentielles notamment dans le domaine des communications électroniques, il y’a désormais deux autorités qui disposent des mêmes prérogatives. C’est qui est vraisemblablement un cas de conflit potentiel de compétences.

Bien qu’à notre connaissance, il n’y a pas encore de jurisprudence en la matière, il nous semble toutefois que si les deux organes étaient amenés à être saisi parallèlement sur une même procédure, l’ARTP devrait en principe décliner sa compétence au profit de la Commission. Cette solution s’impose principalement par le fait que la Commission de l’UEMOA est instituée par un traité qui a donc une autorité supra législative au regard des dispositions de la Constitution sénégalaise [4].

En outre, les pouvoirs de l’autorité de régulation sont consolidés dans le cadre du contrôle des activités des opérateurs possédant une puissance significative sur des marchés des communications électroniques. Ainsi, ils peuvent se voir imposer des obligations en vue d’assurer le bon fonctionnement et l’interconnexion de leurs réseaux ainsi que l’accès aux services fournis sur d’autres réseaux [5].

Outre ces deux principales institutions, le nouveau code fait référence à la commission de données personnelles qui est régie par la loi n° 2008-12 relative à la protection de données à caractère personnel et au comité de gestion du fonds de développement du service universel des télécommunications.

Le renforcement de la protection des utilisateurs des services des télécommunications

La protection des utilisateurs des services des télécommunications est un facteur de développement des Technologies de l’information et de la communication car un utilisateur informé et conscient participe à la régulation du marché ainsi qu’à sa croissance.

Ainsi, on constate la mise en place de normes nationales qui prennent en compte les droits des utilisateurs reconnus par l’Union internationales des télécommunications (UIT). A la différence de l’ancien code, le nouveau dispositif consacre deux chapitres à la protection des utilisateurs. Il renforce les droits des utilisateurs qui se voient garantir un accès ouvert à internet et bénéficient davantage de transparence et de protection dans leurs relations avec les opérateurs et fournisseurs de services.

Mieux, la protection de la vie privée et des données personnelles des utilisateurs est expressément exigée par la nouvelle loi [6]. Cette innovation confirme l’exigence de protection renforcée des données personnelles et s’ajoute naturellement au cadre existant notamment la loi n° 2008-12 relative aux données à caractère personnel. Ainsi, les contrats entre les opérateurs et les utilisateurs doivent obligatoirement comporter des clauses relatives aux services fournis, aux tarifs pratiqués et les restrictions applicables le cas échéant [7].

Ces contrats ne doivent pas sur le principe faire l’objet de modifications unilatérales ; les exceptions à ce principe sont également soumises à des modalités et procédures légales particulières. Dans la même perspective, les opérateurs et les fournisseurs de services de télécommunications doivent ouvrir de services de réclamations au profit des utilisateurs. En outre, un principe d’effacement et d’anonymisation des données techniques est mis en place pour mieux protéger les données des utilisateurs stockées lors du trafic.

Le régime universel est désormais étoffé avec de nouvelles dispositions protectrices des intérêts des utilisateurs. Ainsi, le service universel comprend des mesures en faveur des utilisateurs handicapés, de façon à leur garantir un accès équivalent à celui dont bénéficient les autres utilisateurs [8]. Pour assurer l’effectivité de cette mesure, la loi de 2018 maintient le fonds destiné au développement de l’accès/service universel et au financement des charges de tout service public utile au développement des services de télécommunications.Un décret d’application pour fixer la composition ainsi que les règles d’organisation et de fonctionnement est également attendu.

Régimes juridiques des activités de télécommunications et nouveaux acteurs

Du point de vue des régimes juridiques applicables, il convient d’observer de prime abord que le législateur reprend en substance les mêmes régimes contenus dans l’ancien code (régime libre, licence, autorisation, déclaration, agrément). Aussi, il procède à une réorganisation de différents régimes et une clarification de leurs contenus respectifs.

Il est désormais clairement établi que la licence ne peut être attribuée, renouvelée, cédée ou retirée à un tiers que par voie de décret. Aussi, le législateur tient à préciser que l’autorité gouvernementale chargée du secteur des télécommunication peut exclure une activité soumise au régime de la licence et l’affecter à un autre régime applicable.

S’agissant du régime de l’autorisation, celle-ci concerne désormais, outre les réseaux de producteurs indépendants et les opérateurs d’infrastructures, les nouveaux acteurs statutaires du secteur des télécommunications que sont les fournisseurs de services d’accès à internet et les opérateurs de réseau mobile virtuel (MVNO) [9]. La fourniture d’accès à internet est ouverte à toute personne morale sur la base notamment de la signature d’un cahier de charges avec l’administration.

Quant aux opérateurs de réseau mobile virtuel, ils sont définis comme « tout opérateur mobile ne possédant pas d’autorisation d’utilisation des fréquences radioélectriques ni d’infrastructures de radiocommunications qui contracte avec des opérateurs de radiocommunication afin de fournir aux utilisateurs de services de communications électroniques ». En pratique, ces opérateurs signent également des conventions spécifiques avec les titulaires d’autorisations ou de licences pour effectuer une activité qui entre dans leur champ d’application sous réserve de respect des conditions objectives, transparente et non discriminatoires.

Cette innovation permet de combler un vide législatif existant dans l’ancien code et de prendre en charge corrélativement une pratique courante du secteur des télécommunications.

Le régime de la déclaration comprend les traditionnels services à valeur ajoutée utilisant les capacités d’utilisation des réseaux des télécommunications ouverts au public et s’étend à toute autre activité des télécommunications intégrée par voie de décret. Il est précisé que la liste de services et activités déclarés est publiée par l’ARTP. En pratique, plusieurs services développés par les opérateurs de réseaux des télécommunications sont soumis à la déclaration en tant que service à valeur ajoutée.

Il en est ainsi des services de paiement mobile [10]. Ceux-ci sont définis légalement comme « services permettant aux utilisateurs d’effectuer des paiements pour régler des achats ou des transferts de monnaie entre utilisateurs depuis un téléphone mobile (…), les fonds étant prélevés directement soit sur un compte bancaire, soit sur un porte-monnaie électronique ou facturés par l’opérateur » [11].

Ces services, précise le législateur, doivent être désormais réalisés par l’intermédiaire d’une entité économiquement et juridiquement indépendante des opérateurs des réseaux des communications électroniques. Ces deux dispositions s’expliquent respectivement par la volonté du législateur de régir des usages pratiques du secteur de plus en plus développés d’une part et d’assurer une certaine ouverture et une concurrence saine au sein du marché des télécommunications d’autre part.

Selon un rapport de la BCEAO sur la situation des services financiers via la téléphonie mobile dans l’UEMOA à fin septembre 2015, le nombre de souscripteurs de services de paiements mobiles s’élevait à 2,2 millions de la population sénégalaise avec un volume de 18 millions de transactions évaluées à 152 milliards de francs CFA.

Enfin, la nouvelle loi apporte une clarification sur le régime des spectres radioélectriques dans le but de l’assouplir et de promouvoir le développement économique. L’utilisation des spectres est ainsi soumise à la délivrance d’une autorisation qui peut être générale ou individuelle. L’ARTP détermine les catégories d’installations radioélectriques d’émission par la manipulation desquelles la possession d’un certificat d’opérateur radiotélégraphiste ou radiotéléphoniste est obligatoire et les conditions d’obtention de ce certificat [12].

S’agissant des acteurs, il convient de rappeler la consécration expresse des statuts spécifiques relatifs aux fournisseurs d’accès internet et aux opérateurs mobiles virtuels au regard des activités qu’ils exercent et corrélativement des régimes auxquels ils sont soumis.

Dispositions spécifiques relatives aux infrastructures essentielles

Outre la définition des notions d’infrastructures passives, actives, alternatives et essentielles [13], le nouveau code se propose d’établir un régime spécifique aux infrastructures essentielles. Celles-ci sont définies comme toute infrastructure de communications électroniques « qui ne peut être reproduites dans de conditions économiquement raisonnables et pour laquelle il n’existe pas de substitut réel ou potentiel permettant de fournir les mêmes services avec une qualité de service comparable ou de services sur un marché amont, aval ou annexe » [14].

Le législateur vise à ce titre entre autres les infrastructures suivantes : les câbles sous-marins, les points d’atterrissements virtuels et les réseaux de transport nationaux. Toute demande d’accès y relative ne peut être en principe refusée sauf si l’opération se révèle techniquement impossible. De plus, les ressources issues de ces infrastructures ne peuvent faire l’objet ni d’une thésaurisation ni d’une spéculation de la part de opérateurs qui les exploitent ou les utilisent. Toutes ces dispositions sont de nature à faciliter l’accès aux services et activités des télécommunications aux opérateurs et à renforcer la concurrence au sein du secteur.

Sanctions applicables en cas d’infractions à la législation

Le régime de sanctions est désormais étoffé avec des nouvelles dispositions relatives autant à la procédure, aux mesures conservatoires, aux infractions ainsi qu’à leurs sanctions respectives.

D’abord, le code de 2018 intervient pour réprimer des infractions jusque-là ignorées par l’ancien code. A titre illustratif, le nouveau code réprime la détérioration volontaire des câbles sous-marins,l’utilisation frauduleuse d’indicatifs d’appel et de détournement de liaison de communications électroniques [15].

Ensuite, le régime des sanctions et des astreintes a également évolué en 2018 contrairement au régime général des sanctions administratives et pénales qui est demeuré stable.La fraude subie par les opérateurs des télécommunications peut avoir de conséquences variables en fonction de la nature et de la gravité des faits découverts tels que la perte de relations commerciales avec certains clients ou fournisseurs. Le nouveau dispositif intervient en effet pour aggraver l’amende applicable en matière d’utilisation frauduleuse d’un réseau public de communications électroniques. L’amende passe d’un à trois millions en 2011 [16] contre 10 à 100 millions en 2018 [17].

Dans la même perspective, les mesures conservatoires sont élargies désormais aux cas d’atteinte à la défense nationale, à la sécurité publique, à la morale et aux bonnes mœurs et à tout manquement aux obligations légales pouvant entrainer une situation irréversible ou porter atteinte de manière manifeste aux intérêts d’un concurrent. Dans toutes ces hypothèses, l’ARTP peut prendre toute mesure conservatoire y compris la saisie des équipements objet de la licence, de l’autorisation ou de l’agrément.

Du point de vue du régime des astreintes, si l’ancien code se limitait à attribuer le pouvoir d’astreindre à l’ARTP sans précision supplémentaire, il en va autrement du nouveau code. Ainsi, une astreinte de deux pour cent (2%) du chiffre d’affaires journalier moyen hors taxes par jour retard à compter de la date du prononcé de la mesure conservatoire est fixée. Ce chiffre est déterminé sur la base des comptes de l’entreprise relatif au dernier exercice clos à la date de décision, ou un montant pouvant atteindre deux cent mille francs 200 000 FCFA.

Enfin, les droits procéduraux de la personne poursuivie ou sanctionnée sont consolidés. En effet, l’intéressé doit être informé de griefs retenus contre lui. Il a obligatoirement accès au dossier et dispose du droit de présenter ses justifications écrites ou verbales.L’intéressé dispose également du droit de recours en annulation contre les sanctions prononcées par l’autorité de régulation et d’un droit de demander le sursis à exécution de ses mesures conservatoires devant la Haute juridiction administrative [18].

En définitive, le code de 2018 est une version améliorée du code de 2011. Il a le mérite d’être plus clair, exhaustif et adapté à l’évolution du numérique au Sénégal. Il constitue également un outil de protection des utilisateurs et un instrument de contrôle de la concurrence sur le marché numérique, le tout au service de l’économie numérique, moteur de croissance pour le Sénégal.

Mouhamed Kébé
Avocat, Managing Partner, GENI & KEBE
mhkebe@gsklaw.sn