mardi, avril 23, 2024

Local Open GovLab: Africtivistes décline sa feuille de route pour impulser la révolution digitale

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Dématérialisation des procédures, intégration du numérique dans la gouvernance locale pour une gestion plus transparente et plus inclusive, le président des Africtivistes, Cheikh Fall, décline sa feuille de route pour impulser la révolution digitale, à travers le concept de Local Open GovLab (LOG). Monsieur Fall est aussi revenu sur les limites de la stratégie numérique du Sénégal et les dérives sur Internet.

 

On parle beaucoup de dématérialisation des procédures depuis des années, mais les progrès paraissent encore très timides. Est-ce qu’il y a suffisamment de volonté pour donner corps à cette ambition ?  

Certes, cela dénote un manque de volonté. Mais il y a aussi un problème de maitrise de ces outils. Qui dit technologie parle de nouvelles connaissances et de nouvelles expériences. Cela passe forcément par l’acquisition de nouveaux profils. Des profils qui ne sont pas toujours disponibles au niveau des structures décentralisées. La deuxième chose qui fait que ça ne décolle pas, c’est l’accès et la maitrise des outils numériques. C’est le cas dans beaucoup de municipalités.
Ensuite, il y a ce que j’appelle moi la technophobie chez nos autorités. Quelque part, on a l’impression que certains dirigeants ont peur que la technologie va permettre de réduire les possibilités d’embauche, qu’elle va venir les exposer, puisque la technologie renforce la transparence et l’accès à l’information.

L’Etat du Sénégal profite-t-il pleinement des opportunités qu’offre le secteur du numérique ?

Je dirais que l’Etat a conscience des enjeux et de l’importance du numérique. Mais est-ce qu’il a vraiment saisi l’opportunité ou mis le cadre approprié pour la mise en place d’un écosystème dynamique ? Je dirais non. La preuve, c’est les profils choisis pour la gestion de ces secteurs plus ou moins sensibles. Souvent, on mise sur des personnes qui n’ont aucune maitrise de ce qu’est le cyberespace, le numérique… Je peux donner l’exemple de la CDP qui été confiée à une personne qui ne connait pas grand-chose à ce domaine…
Aujourd’hui, au Sénégal, quand on parle de numérique, il y a des acteurs qu’on ne peut exclure, mais on ne les voit pas, quand il s’agit de planifier certains projets.

Que pensez-vous de la stratégie ‘’Sénégal numérique 2025’’ ?

Stratégie numérique sans les acteurs du numérique, ça me pose un problème. Le numérique, ce n’est pas que de la littérature, c’est aussi des idées, des profils. Il s’agit là des acteurs de l’écosystème, ceux qui ont eu à se singulariser avec les fintech, les startups, les espaces de co-working, les fablabs, les makers….
Pour moi, il est encore temps de mettre en place le cadre et d’impliquer tous ces acteurs pour une réelle stratégie qui ait de l’impact. Il faut savoir que nous sommes bien outillés pour faire beaucoup mieux. Le Sénégal est une porte d’entrée pour tout ce qui est technologie. Nous faisons partie des tout-premiers qui ont eu accès à Internet au niveau de la sous-région. Aujourd’hui, le Sénégal peut compter sur un réseau d’acteurs très engagés et très au point dans leur domaine. Ce sont ces acteurs qui constituent la matière grise dans d’autres pays et pour beaucoup d’organisations dans le domaine du digital. Je pense que le Sénégal devrait pouvoir compter sur ses enfants pour réussir cette révolution digitale.

Y a-t-il des chiffres pour illustrer le retard du Sénégal, en termes de création d’emplois par le numérique ou de développement de l’activité ?

Je n’ai pas de chiffres, mais si on prend les exemples de pays comme le Kenya, le Rwanda ou l’Egypte, on voit énormément de structures, un bond énorme du numérique. C’est des cas sur lesquels on peut s’appuyer pour dire qu’on a beaucoup d’efforts à faire pour créer davantage d’emplois.

Parlez-nous du concept LOG (Local Open GovLab) que vous développez avec certaines collectivités territoriales ?

C’est une initiative qui vise à accompagner, à appuyer les collectivités locales à intégrer le digital ou le numérique pour un service public plus performant. L’objectif est de faciliter certaines démarches administratives, mais aussi d’innover et d’inclure un volet mobilité scientifique. Aujourd’hui, nous avons des jeunes très bien formés sur les métiers du numérique, qui constituent un facteur de changement en Afrique.
L’initiative va donc mettre à la disposition des collectivités des compétences, sans avoir à payer des salaires. Ces jeunes que nous appelons des volontaires Africtivistes pour la gouvernance locale ouverte seront affectés pour une durée de six mois, pour aider les collectivités bénéficiaires à avoir un service beaucoup plus efficace, transparent, accessible et redevable.

Qui va se charger de la prise en charge des volontaires ?

C’est Africtivistes qui va payer les volontaires. Tout ce que les mairies auront à faire, c’est de mettre à la disposition des volontaires un espace de travail : un bureau, une table. Chaque jour, la personne va rejoindre son poste, travailler, collaborer, former, recueillir des informations, produire du contenu, mettre en place des dispositifs techniques.
C’est donc une manière de leur remettre de l’argent sans leur remettre de l’argent. On va mettre à leur disposition des compétences pour les aider dans certains domaines essentiels où ils ne disposent souvent pas de ressources. Il faut savoir que dans les collectivités locales, on a souvent des agents, des administratifs, mais pas forcément des férus du digital. Alors qu’aujourd’hui, pour parler d’administration moderne, ces profils sont indispensables. Notre choix a aussi été de commencer par la base, c’est-à-dire l’échelon territorial.

Quels seront les défis de ces jeunes volontaires ?

C’est d’abord d’initier les collectivités partenaires aux outils : les initier aux dispositifs, au numérique. C’est le premier défi. Le deuxième défi est de les accompagner avec du conseil, de la formation et de la conception d’outils. Il faut les accompagner du point de vue même des orientations. Chaque mairie qui bénéficie du programme doit faire son expression de besoins. Il peut s’agir de problèmes d’archivage, d’inscription sur les registres d’état civil… Aujourd’hui, il est facile de digitaliser la plupart de ces activités et de faire gagner énormément de temps à l’Administration et aux populations. Le troisième défi est de les mobiliser. On parle de gouvernance ouverte, quand elle est partagée et faite de manière inclusive.
Il s’agira donc de catalyser cette participation citoyenne, par la création de cadres d’échange, de dialogue et de partage, pour bâtir une nouvelle dynamique de co-construction et de cogestion. C’est d’ailleurs là le quatrième défi qui consiste à amener les collectivités à co-construire avec d’autres acteurs.

Internet a favorisé le développement de nouveaux acteurs comme les activistes et les influenceurs. Pouvez-vous nous dire qui est véritablement activiste et influenceur ?

Un activiste, pour moi, c’est juste quelqu’un qui a une cause et qui la défend. Nous tous, on a été activiste dans notre vie. Que ça soit par le biais de la mosquée, au terrain de foot… On a tous eu à défendre des causes. Après, tout dépend de la manière de les défendre. Internet a juste donné plus de voix ; il a libéré la parole. Avant, il fallait avoir un temps d’antenne, faire des marches… Aujourd’hui, tout le monde peut s’adresser à tout le monde sans même se déplacer. Nous sommes passés d’une société de l’information à une société de la relation où les espaces personnels deviennent des murs que nous utilisons pour afficher nos messages, pour défendre des causes. Tout le monde devient alors activiste.
Juste préciser qu’au Sénégal, on a tendance à politiser le concept. Il faut savoir qu’on peut être activiste dans le domaine de l’agriculture, de l’environnement, de l’écologie…
Pour ce qui est des influenceurs, c’est un terme galvaudé. Au début, le terme renvoyait aux gens qui avaient une grande influence sur un public assez large. Il a été étendu à ces gens qui disposent de vastes réseaux sur Internet, parce qu’ils peuvent, par leur contenu, toucher plusieurs personnes. Est-il pour autant un influenceur ? S’il arrive à influencer la masse, on peut le considérer comme tel.

Est-ce que ce sont des métiers ?

Certains en font leur métier et en vivent. C’est bien possible. Cela pourrait devenir, dans un futur proche, un vrai métier. Mais jusqu’à quand ? A quel prix ? Je ne saurais y répondre. Un métier, pour moi, doit s’appuyer sur des compétences, un savoir… Influencer juste parce qu’on a un réseau d’amis, en faire un métier serait très réducteur.

Parlant des activistes, vous avez parlé de défense de causes nobles. Ce concept n’est-il alors pas dévoyé par ceux qui s’en prévalent juste pour en tirer profit ?

Il y en a qui le font. On ne peut le nier. Comme les transhumants en politique, il y a également des gens qui portent des causes auxquelles ils ne croient pas vraiment. Parfois, ils y croient, mais peuvent évoluer et trahir ces causes pour des raisons pécuniaires.
Moi, je dis que quand une personne cherche à vivre à travers son engagement, il n’est plus un activiste. Il est un prestataire de services. Un engagement ne se monnaie pas ; c’est du don de soi, des valeurs ; c’est des convictions. On ne peut les commercialiser. Sinon, on est un agent marchand, commercial, pas activiste.

Internet, c’est aussi les dérives. Qu’est-ce qui explique ces écarts que certains considèrent comme découlant d’une méchanceté gratuite ?

C’est un phénomène qui existe et qui doit tous nous interpeller, car il y va de l’hygiène numérique. Le problème, c’est que sur Internet, certains se croient dans un monde à part où tout est permis. Ils pensent qu’ils ont des identités différentes et que leur image n’est pas engagée. Je pense qu’il faut de la sensibilisation, faire comprendre que ce qu’on nous interdit dans notre environnement naturel, doit aussi nous guider dans le monde virtuel. On te demande de ne pas insulter, de ne pas diffamer… C’est aussi valable sur Internet.

Que faire pour y remédier ?

Il faut miser sur la sensibilisation, la pédagogie, l’éducation au numérique et la promotion de l’hygiène numérique. Je ne pense pas que le tout coercition peut être une solution. Sur Internet, il y a toujours des moyens pour s’exprimer sans être identifié. Je pense donc qu’il faut plus mettre l’accent sur l’éducation, la formation, l’information. Il faut savoir que ce sont des gens qui ont un problème de niveau, d’éducation… Quand une personne sait que ses actes sur Internet l’engagent, elle va réfléchir avant de publier. Ce sont des gens qui ne mesurent pas les conséquences de leurs actes, d’abord sur leur propre personne, mais aussi pour les autres. Il y a donc un besoin réel de formation à ce niveau. C’est de la responsabilité des acteurs du numérique, des acteurs étatiques, mais aussi des médias. Il faut aller vers la promotion de l’hygiène digitale.

Avec Enquêteplus