Comment aider les jeunes à vivre dans un monde d’images, à l’heure où la vitesse des réseaux et l’IA peuvent faciliter les manipulations ? Si les nouvelles générations ont une pratique quotidienne de la photo et de la vidéo, une éducation aux médias est indispensable pour apprendre à remettre les informations en contexte et déjouer les risques en ligne.
Le contexte récent des élections aux États-Unis et des polémiques autour de l’image d’Elon Musk faisant un salut nazi a montré la nécessité d’une éducation à ces photos et vidéos qui circulent massivement en ligne. La régulation des usages et des technologies est un enjeu même si l’Europe mesure les limites des moyens dont elle dispose pour soumettre sur son territoire les plates-formes étrangères à ses propres règles.
L’évolution des technologies numériques permet d’accréditer facilement toutes sortes de théories, et les manipulations s’amplifient à mesure que l’intelligence artificielle (IA) se perfectionne.
Dans ces conditions, il est indispensable de donner les moyens aux citoyens, au-delà des réglementations, de lutter contre les désordres informationnels liés aux images en soutenant les outils de factchecking mais aussi les formations dans le cadre scolaire.
À une époque où les jeunes ont un rapport aux images beaucoup plus familier qu’auparavant, quels sont les enjeux de l’Éducation aux médias et à l’information (EMI) ? Cette question sera au centre de l’événement « Vivre dans un monde d’image(s) : quels usages, risques et éducations pour la jeunesse ? » organisé par France Universités, en collaboration avec le CLEMI, le 6 mars 2025, à l’Université Paris-Cité.
Les images, fondement d’un entre-soi générationnel
Le rapport des jeunes à l’image passe par des usages massivement numériques, l’écran de télévision et de cinéma étant partagé surtout en famille. Selon l’étude Born Social, les plates-formes les plus utilisées par les jeunes (de 11 ans à 19 ans) sont YouTube et WhatsApp, puis Snapchat, TikTok, enfin Instagram – soit des plates-formes où l’image est dominante.
L’avantage de l’image est d’être efficace, accessible, compréhensible par tous et impactante. S’ils en sont de grands consommateurs, les jeunes en sont aussi des producteurs. Ces nouveaux types d’images (mèmes, gifs, etc.) circulent massivement et sont souvent construits à partir d’extraits de films ou de séries, d’images ou vidéos d’actualité, de photographies de personnes connues (historiques, politiques, légendaires, du milieu du divertissement).
Ce goût pour les images détournées permet de créer un entre-soi générationnel autour de références communes. Il donne aussi la possibilité d’exprimer des émotions, des idées liées à leur quotidien, de dénigrer le monde des adultes et des faits d’actualité anxiogènes, ou encore de construire un humour partagé.
Faire face à des flux d’images déconnectées de leur contexte
La nature éphémère des contenus imagés des plates-formes comme YouTube, Instagram, Snapchat ou encore TikTok change la manière dont les jeunes perçoivent l’image. Cela impacte le rapport qu’ils ont à l’information car, contrairement à la presse écrite et à la télévision, ces images ne sont ni hiérarchisées, ni contextualisées, ni expliquées. Cette différence fondamentale redéfinit les notions de mémoire, d’archive mais aussi de source et de véracité.
Les images sensationnalistes sont celles qui circulent le plus. Les émotions négatives et virulentes ont tendance à générer un taux d’engagement et de vues bien plus important que les sentiments positifs. Le filtrage des algorithmes faisant remonter les images les plus vues, quel que soit leur contenu, les plates-formes sont devenues des « echos chambers » qui favorisent les images choquantes qui se diffusent à grande vitesse, sans les barrières traditionnelles de l’information.
Cela favorise un environnement où les individus partageant une même vision se retrouvent, créant des bulles informationnelles dans lesquelles les utilisateurs sont exposés à des images qui correspondant surtout à leurs opinions, contrairement à la diversité rencontrée dans les médias traditionnels. Il en résulte une polarisation des opinions. Les courants de radicalisation bénéficient de ce système qui rassemble de vastes communautés pour organiser des opérations complotistes, d’intimidation ou de harcèlement.
Un autre constat est que les fausses nouvelles, la propagande visuelle et tout ce qui a trait à la post-vérité sont favorisés sur les réseaux sociaux, et ces contenus se propagent rapidement sans sanction. Il en résulte une société où la post-vérité gagne du terrain sur la véracité des faits comme en témoignent les élections présidentielles en Roumanie ou la pandémie de Covid-19.
Mésinformer, désinformer, malinformer ?
La post-vérité soulève des enjeux importants de société concernant la confiance des publics dans les institutions officielles, dans la figure du politique, du journaliste ou du scientifique, et dans la réalité des faits qui est dangereusement reléguée au second plan au profit de la défiance, des théories complotistes et du sensationnel.
Comment un jeune seul face à son écran peut-il trier le vrai du faux d’une image ?
La « perception attentive » des jeunes doit être développée et accompagnée pour faire comprendre comment les images peuvent mésinformer ou désinformer, et de plusieurs manières, en jouant sur les émotions, les perceptions et les contextes. Le baromètre de l’Arcom donne des indicateurs alarmants sur le contexte actuel. Il faut aider à distinguer les niveaux entre mésinformation, désinformation, complotisme, fake news, autant de termes qui sont utilisés dans les discours sociaux et médiatiques.
Bien que proches, ces notions désignent des réalités et des pratiques différentes. La différence entre mésinformation, malinformation et désinformation repose principalement sur l’intentionnalité. La désinformation et la malinformation sont toujours le fruit d’une intention. La malinformation est une information basée sur la réalité, utilisée pour infliger un préjudice à une personne, un groupe social, une organisation ou un pays. La mésinformation en revanche relève de l’involontaire. La désinformation englobe le domaine des fake news, de la malinformation et de la fabrication de fausses nouvelles.
Ce qui est sous-jacent à la désinformation est l’intentionnalité de produire en masse des fausses nouvelles dans un but lucratif ou politique afin d’influencer, de déstabiliser voire de nuire (à une organisation, un État, une communauté, la démocratie, etc.). Dans certains pays, les fausses informations peuvent en effet être mortelles, notamment lorsqu’elles sont créées pour attiser la haine d’une communauté à l’égard d’une autre. Le domaine de la désinformation est d’autant plus problématique qu’il bénéficie de stratégies de diffusion de plus en plus performantes que les technologies de l’IA viennent renforcer.
Exercer sa vigilance avec l’éducation aux médias et à l’information (EMI)
Si les jeunes savent que les images peuvent être altérées ou retouchées à l’aide de logiciels (ce qui peut déformer la réalité) ils n’ont pas toujours conscience que cela peut être fait dans une logique malveillante voir propagandiste. C’est pourquoi il faut leur donner les outils et les moyens critiques de remettre en contexte les images, de les hiérarchiser, de confronter les sources.
Une image peut en effet être présentée hors de son contexte d’origine, ce qui modifie son sens. Par exemple, une photo d’un événement peut être utilisée pour illustrer un sujet complètement différent, donnant une fausse impression de ce qui se passe réellement, ou être choisie pour inciter à croire que la situation est plus grave qu’elle ne l’est afin d’agir sur des affects négatifs et des logiques d’emballement.
Il est de plus en plus difficile d’avoir des repères fiables, de trouver une information certifiée puisque même les médias sont susceptibles d’être abusés. Ainsi, tout ce qui relève des IA génératives est un enjeu éducationnel.
L’EMI et la connaissance des outils de factchecking portées par de institutions comme le Clemi (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information), l’Arcom, les associations ou encore la Commission Européenne et les médias aident à former pour mettre à distance. Ceci est d’autant plus important que l’IA est dans leur quotidien et que, chaque jour, des enjeux désinformationnels par l’image se profilent avec cette technologie.
L’événement « Vivre dans un monde d’image(s) : quels usages, risques et éducations pour la jeunesse ? » porté par France Universités en collaboration avec le CLEMI et en partenariat avec la GMF est accessible gratuitement, sur inscription.
Pauline Escande-Gauquié, Professeure en sciences de l’information et de la communication et sémiologue, Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.