L’IA ouvre des possibilités infinies pour le futur de la recherche 

Aude Bernheim : L’IA ouvre des possibilités infinies pour le futur de la recherche 

Chercheuse spécialisée en génétique et génomique microbienne, Aude Bernheim a vu son quotidien révolutionné par l’avènement de l’IA générative et d’AlphaFold, un système développé par Google DeepMind. Aujourd’hui, elle s’appuie sur ces technologies pour travailler sur l’immunité et imagine déjà de nouvelles applications au sein du laboratoire qu’elle dirige à l’Institut Pasteur.

Au sein du laboratoire “Diversité Moléculaire des Microbes”, intégré à l’Institut Pasteur et dédié à la recherche fondamentale, on découvre de nouveaux moyens de combattre un problème de santé majeur : la résistance antibiotique. « Les maladies infectieuses ont été pendant longtemps la première cause de mortalité au monde, pose la microbiologiste Aude Bernheim, sa fondatrice. L’émergence des antibiotiques a permis de les enrayer. Néanmoins, les bactéries encodent elles-mêmes des moyens de résister. Plus nous utilisons d’antibiotiques, plus nous allons avoir de bactéries résistantes, explique-t-elle. Aujourd’hui, des centaines de milliers de morts sont liées à l’antibiorésistance et, malheureusement, ce problème ne va faire qu’empirer. » D’après une étude publiée dans le journal The Lancet en 2024, si la situation ne change pas, il y aura deux fois plus de décès liés à ces multirésistances en 2050 qu’en 2021, soit environ huit millions de morts, ce qui en ferait la première cause de décès dans le monde devant les cancers. « Nous commençons à manquer de traitements, alerte la chercheuse. D’où l’intérêt de développer des thérapies alternatives. »

En octobre 2024, le laboratoire d’Aude Bernheim, en association avec d’autres chercheurs de l’Inserm, de l’AP-HP et de l’Université Paris Cité, publiait une étude dans la revue Nature Microbiology sur la phagothérapie.

Une méthode fondée sur la destruction de bactéries pathogènes par des phages – des virus inoffensifs pour l’organisme humain – que l’essor des antibiotiques dans les années 1930 avait remisé au placard et remise au goût du jour par une avancée révolutionnaire. « Nous avons mis au point un modèle d’intelligence artificielle qui analyse spécifiquement l’ADN bactérien, explique la chercheuse. Grâce à l’IA, nous pouvons prédire correctement 85 % des interactions phages-bactéries en utilisant simplement les séquences des génomes bactériens. Cela nous a permis de désigner des cocktails de phages personnalisés efficaces à plus de 90 %.» De quoi ouvrir la voie à des traitements personnalisés pour combattre des infections bactériennes résistantes aux antibiotiques.

L’accélération par l’IA

Une avancée rendue possible par l’avènement de l’intelligence artificielle, ou du moins le décuplement de ses capacités, si l’on en croit l’expérience de la spécialiste de l’immunité bactérienne. « Bien sûr, nous utilisons depuis longtemps les algorithmes. J’ai fait mon premier cours de machine learning en 2011 et il existe du deep learning en biologie depuis plus de dix ans », situet-elle. Pour autant, ces applications ne parvenaient pas à solutionner le problème qui occupait Aude Bernheim et des milliers d’autres chercheurs en biologie : celui du pliage 3D des protéines. Explication : « Le dogme central de la biologie, c’est l’ADN, qui est facile à obtenir. Mais le code génétique est composé de gènes qui vont donner des protéines, et le mode de fonctionnement de ces protéines va dépendre de leur forme en trois dimensions. Le problème, c’est qu’avec l’informatique classique, les prédictions que nous obtenions n’étaient pas fiables, ce qui nous empêchait de comprendre la fonction de la protéine. Pour obtenir la forme 3D, nous étions obligés de passer par des processus expérimentaux très compliqués, chronophages et coûteux. »

C’est là qu’AlphaFold, le système d’IA générative de Google DeepMind capable de modéliser ces protéines en 3D, change la donne… Après une première mouture en 2020, Google DeepMind présente deux ans plus tard AlphaFold 2 et partage librement 200 millions de structures protéiques avec la communauté scientifique. «Nous avons tout de suite voulu essayer ! », se souvient parfaitement Aude Bernheim qui, à l’époque, venait de créer son propre laboratoire. « En quelques minutes, nous avons pu copier-coller une séquence ADN, et plier la protéine directement. C’était inimaginable avant. Ce qui prenait auparavant environ deux ans à un chercheur à plein temps était désormais possible en une poignée de secondes. » Dequoi faire avancer considérablement la recherche scientifique. « Cela reste des prédictions qui sont ensuite à confirmer expérimentalement. Mais, quand même, c’est une révolution extraordinaire, s’enthousiasme la chercheuse.

L’IA nous permettra de mieux comprendre les bases des maladies.

En biologie, nous travaillons beaucoup par comparaison. Nous avons donc pu faire des liens que nous ne pouvions pas faire avant. C’est comparable à l’arrivée du microscope: nous avons à présent accès à un monde auparavant inaccessible, ou du moins difficilement. D’autant plus lorsque l’on sait qu’AlphaFold est accessible à tous les labos…». Aujourd’hui, ils sont en effet 62 000 chercheurs en France à utiliser cet outil, dont la dernière version, AlphaFold 3, peut prédire la structure de la quasi-totalité des molécules et leurs interactions avec une précision sans précédent.

La bonne recette pour le futur

Cette nouvelle donne technologique implique forcément un besoin de formation. « Beaucoup de biologistes ne sont pas formés en bioinformatique. Même si cela a tendance à évoluer, aujourd’hui, les cursus sont très séparés. Quelqu’un qui élabore des supers algorithmes sur des millions de séquences ne maîtrisera pas forcément la partie expérimentale, prévient Aude Bernheim. En biologie, il y a aussi une part d’intuition. C’est un peu comme en cuisine : quelqu’un d’expérimenté saura reconnaître une étape un peu bizarre dans une recette. Alors qu’un débutant suivra la recette à la lettre et ne comprendra pas pourquoi le plat n’est pas bon à la fin. En biologie aussi, il faut cette expérience. » De la théorie à la pratique: dans son laboratoire, la chercheuse a recruté un développeur, qui a ensuite suivi un an de formation en biologie et peut maintenant mener ses propres expériences.

Un changement de méthode, de mentalité, presque de philosophie, lié à l’intelligence artificielle, que la directrice de laboratoire de l’Institut Pasteur regarde avec enthousiasme. « Ce qui se passe depuis quelques années grâce à certaines IA appliquées à la biologie est impressionnant. Cela nous ouvre des possibilités infinies pour le futur. C’est simple: en deux ou trois ans, nous avons économisé des décennies de temps de travail en biologie. » Et Aude Bernheim pense déjà à d’autres applications: «Nous commençons à faire du design de protéine grâce à l’IA générative, ce qui nous permet toutes sortes de tests comme inventer de nouvelles protéines qui vont inhiber ou activer d’autres machines moléculaires, former des structures nouvelles, etc. Tout cela va nous permettre de mieux comprendre les bases des maladies et donc d’imaginer de nouveaux traitements. » Et in fine, de sauver des vies.

 

Chercheuse spécialisée en génétique et génomique microbienne, Aude Bernheim a commencé à travailler sur ces questions dès sa thèse en 2014, puis à l’Institut Weizmann en Israël, avant de revenir en France créer son propre laboratoire baptisé « Diversité Moléculaire des Microbes » en 2021, intégré à l’Institut Pasteur en 2023.

 

Source: Magazine AZERTY

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