mardi, mars 19, 2024

Développement des services financiers mobiles : le coup de pouce du régulateur des télécommunications

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L’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP) du Sénégal a procédé, le 10 avril 2018, au lancement de la procédure d’ouverture des codes USSD aux fournisseurs de services à valeur ajoutée présents sur le marché des télécommunications. Au sens du Code des Télécommunications, les services à valeur ajoutée sont tous les services de télécommunications autres que les services de diffusion et qui ajoutent d’autres services aux services supports ou répondent à de nouveaux besoins. Ce sont, concrètement, les services d’information en ligne, les jeux vocaux ou par sms, les services bancaires en ligne, les services de paiement mobile …et toute une panoplie de services qui restent à être inventés.

Avec un taux de pénétration du téléphone mobile de 103% et plus de quinze millions de lignes téléphoniques mobiles au Sénégal, il va sans dire que le téléphone mobile est par excellence le  support de création et d’utilisation de services numériques innovants. Ainsi, permettre aux fournisseurs de services d’accéder à l’utilisateur final via son téléphone portable est une voie privilégiée pour promouvoir le développement et susciter l’innovation dans les services mobiles.

Quant aux codes USSD (Unstructured Supplementary Service Data), ils constituent un canal d’accès aux téléphones mobiles des usagers finaux, canal jusque-là accessible uniquement aux
opérateurs de télécommunications disposant d’une licence. Dans un contexte où le secteur des télécommunications se dynamise notamment avec l’entrée de MVNO et FAI et où les opérateurs de télécommunications se positionnent en fournisseurs de services et deviennent de fait les concurrents directs des autres fournisseurs, il devient indispensable, pour les besoins d’une concurrence saine et loyale, d’ouvrir ces canaux de communications à tous les fournisseurs.

Parmi les services sur téléphone mobile, les services financiers représentent un gros enjeu à la fois économique et social. L’inclusion financière qui est le processus de délivrance de services financiers à ceux qui sont exclus du système financier classique est au cœur des politiques internationales de développement ; des études ayant démontré que l’accès et l’utilisation des services financiers contribuent au développement socio-économique. Ceux qui sont exclus des systèmes financiers encourent des coûts élevés de transaction, sont exposés à davantage de risque et de fraude ; l’inclusion financière permettant une plus grande participation à l’économie et une économie de coûts. Pour les populations défavorisées, avoir accès aux services financiers est décisif et peut tout simplement induire d’être en dessous ou dessus de la ligne de pauvreté.

« Aussi, toute mesure impactant le cadre réglementaire de manière à favoriser le développement et l’accès des services financiers (y compris mobiles) est un coup de pouce à l’amélioration de l’inclusion financière et à l’impact social qu’elle génère. En termes économiques, les dernières statistiques publiques de la BCEAO montrent déjà dans l’année 2015 au Sénégal, 18 millions de transactions en monnaie électronique évaluées à 152 milliards de FCFA rien que pour les trois premiers trimestres. »

La fin du monopole sur ce canal de communication privilégié vers le téléphone mobile bénéficiera donc en premier lieu au secteur financier mobile. Compte tenu des sommes colossales échangées à l’aide du téléphone mobile, les émetteurs de monnaie électronique autres que les opérateurs de télécom ont accès désormais à l’utilisateur final via un canal convivial qu’est le téléphone mobile, de manière sécurisé et à un coût abordable (350 mille francs CFA pour l’accès et 500 mille francs par an pour la maintenance). Le canal USSD pourrait permettre l’émergence de nouveaux business model moins complexes avec des coûts opérationnels infiniment plus abordables et donc des services moins coûteux pour l’utilisateur final.

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Cependant, la régulation du téléphone mobile comme canal d’accès n’est pas le seul challenge des régulateurs financier et de télécommunications qui interviennent tous deux dans le secteur
des services financiers mobiles. D’ailleurs, la coordination des activités de ces deux organismes de régulation indépendants sur ce domaine est en soi un challenge. Pour le régulateur du secteur financier, il s’agira de garantir la stabilité et la pérennité du secteur financier et dans le même temps d’introduire l’ouverture et la souplesse nécessaires à l’entrée sur le marché de nouveaux entrants dont les business model peuvent être non conventionnels. Le statut d’établissement de monnaie électronique est consacré par la BCEAO depuis 2006, révisé en 2015, mais l’arbitrage est constant entre la protection du secteur financier (en maintenant notamment les barrières à l’entrée) et le développement de la concurrence.

Dans la même veine, « le test and learn » est permanent quant à la supervision des moyens de paiement électroniques compte tenu des différences qu’il peut y exister entre banque, émetteur de monnaie électronique et opérateur de transfert d’argent. Le dispositif de supervision des moyens de paiement de la BCEAO est toujours en cours de révision pour permettre de s’adapter aux nouveaux enjeux.

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Une problématique supplémentaire sera d’assurer un bon niveau de protection des usagers des services financiers mobiles et notamment une bonne connaissance des services financiers par
ces utilisateurs. La perception que les consommateurs ont de la sécurité de ces nouveaux services est un facteur de succès dans leur adoption et leur utilisation. Aussi, la sécurité des téléphones et des transmissions, les erreurs d’utilisation ou encore la capacité d’utiliser ces services pour les consommateurs non avertis doivent-ils être bien pris en charge par la réglementation – à la fois financière et télécom – en déterminant notamment avec précision les domaines d’intervention de chaque régulateur. De manière générale, la problématique de la régulation de la qualité des services numériques va se poser avec acuité avec le développement escompté de ces services, les volets contenu (utilisation, tarifs, pratiques commerciales, protection des données personnelles…) étant distincts des volets techniques (réseaux, transmission, connexion…).

Une problématique chère au gendarme du secteur financier sera aussi de lutter contre le blanchiment d’argent et la fraude en mettant en place des mécanismes efficaces de contrôle tels que les limites en nombre et en valeur sur les transactions, le reporting des activités des comptes et agents. Les régulateurs mettent en place une approche progressive de « Know Your Customer » qui consiste à requérir différents niveaux d’authentification de la part de l’usager en fonction des montants des transactions effectuées pour superviser les comptes sans alourdir inutilement le processus.

« Le marché du mobile payment n’est pas le marché des télécom même si les opérateurs de télécommunications profitent de leur offre de service télécom pour fidéliser les clients mobile money » Diago DIOUF FATI

Pour le régulateur des télécommunications, la prochaine étape sera peut-être de se prononcer sur les exigences d’interopérabilité et d’interconnexion des services proposés par les opérateurs et fournisseurs. Les premiers sur le marché n’ont pas intérêt à interconnecter leurs services avec ceux des nouveaux venus car leur large base d’abonnés leur donne un avantage concurrentiel du fait des larges économies d’échelle réalisées dans les économies de réseau. Il s’avèrera néanmoins nécessaire de redéfinir les marchés (le marché du mobile payment n’est pas le marché des télécom même si les opérateurs de télécommunications profitent de leur offre de service télécom pour fidéliser les clients mobile money) et les règles du jeu de la  concurrence, d’harmoniser les plateformes et/ou de définir un processus devant à terme permettre au consommateur de choisir de manière optimale son opérateur de téléphonie mobile indépendamment de ses fournisseurs de services.

Diago DIOUF FATI diago.diouf@gmail.com
MBA, Msc en Finance, DEA Sc Politique