mardi, mars 19, 2024

Si une plateforme numérique est gratuite, c’est que tu y travailles ».

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Le site tempsreel donne la parole à   Antonio Casilli. Le sociologue  développe la thèse d’un travail numérique dissimulé. Pour lui, nous devrions tous bénéficier d’un revenu universel en contrepartie. « L’Obs » a rencontré cet enseignant-chercheur de Telecom ParisTech afin qu’il détaille cette étrange théorie.

Si une plateforme numérique est gratuite, c’est que tu y travailles »

Mais le service fourni par ladite plateforme n’est pas une juste rémunération de cette activité productive : il y a toujours un élément de surtravail, qui excède la partie rémunérée. Si vous êtes un chauffeur d’Uber, par exemple, vous recevez une compensation pour les courses que vous effectuez pour la plateforme. Mais quid de toutes les heures que vous passez à personnaliser votre profil, à gérer votre réputation en ligne, à évaluer le service… ou les passagers ? La rémunération est toujours établie de manière asymétrique et non transparente.

Bien sûr, si je me situe au niveau micro-social, celui de ma propre expérience personnelle, un service informatique peut paraître gratuit. Mais si on adopte une vision d’ensemble, les plateformes numériques vont toujours extraire plus de valeur de vos comportements que celle qu’elles compensent. Au lieu de se concentrer sur la fausse dichotomie gratuité/compensation, on pourrait commencer à s’interroger sur comment les grandes entreprises du numérique pourraient redistribuer la valeur captée sur internet.
Selon vous, les objets connectés aggravent la situation ?

– On est passé d’un internet de publication à un internet d’émission. Quand vous partagez une photo, la photo est la partie consciente de votre publication, mais derrière la photo, il y a la métadonnée (modèle de l’appareil, adresse IP, etc.). Ça et les objets connectés, la domotique et l’internet des objets, forment un énorme écosystème dans lequel la volonté de l’utilisateur est beaucoup moins sollicitée. Finalement, là, on se trouve vraiment dans des situations d’exploitation qui ne se reconnaît pas et d’extraction forcée de données.

L’exemple le plus représentatif pourrait être la maison intelligente, véritable usine à data dans laquelle le thermostat capte votre présence, envoie au wifi qui envoie au frigo ou au four micro-ondes ou à la poubelle. Dans tout cela, vous n’arrêtez jamais de produire des données et, finalement, de travailler. Même chez soi, le lieu qui est le sancta sanctorum de la vie privée, vous êtes dans un contexte professionnel de production de valeur.

Pourquoi ne réalisons-nous pas que nous travaillons sur Facebook, Twitter et autres ?

– Chacune de ces plateformes proposent un produit d’appel. Sur Facebook, il s’agit d’un contenu culturel : extraits vidéo, news ou surtout contenus coproduits par les utilisateurs – photos de chatons, annonces d’anniversaire, etc. Mais Facebook est en réalité une place de marché pour nos métadonnées. Tout comme Uber qui se présente comme un service de chauffeur à la demande, mais qui en fait est une plateforme de marchandisation de nos métadonnées, en l’occurrence de géolocalisation.

Cette idée des sites web de mettre l’accent sur le loisir est aussi révélateur d’un changement même du travail, ce que certains sociologues proposent de renommer weisure (work + leisure, en français travail + loisir) ou playbor (play + labor, jeu + travail). Auparavant, le travail formel se caractérisait par 8 heures de labeur et le reste du temps était libre. Ce type de barrières a complètement explosé. Dans ce contexte-là, on se retrouve constamment à être dans des moments hybrides dans lesquels on est un peu en train de produire et un peu en train de s’amuser.

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