mardi, mars 19, 2024

Les civic techs au Sénégal : état des lieux et perspectives !

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Définies comme l’ensemble des procédés, des outils et des technologies numériques qui permettent d’améliorer le système politique, les civic techs sont la conjugaison du numérique et du politique avec l’ambition d’encourager l’engagement citoyen, la modernisation des institutions et d’assurer la transparence de la vie publique.

L’émergence de ces technologies numériques qui veulent « hacker » la démocratie selon certains praticiens ou universitaires, a commencé aux Etats-Unis et aujourd’hui, l’Europe s’y engage avec des plateformes généralistes ou thématiques qui font déjà des résultats à l’échelle des collectivités locales. A ce jour, leur défi est d’amener ces outils à peser sur les décisions publiques au plan national.
L’Afrique n’est pas en reste sur cette dynamique mondiale qui impose à l’espace politique une cohabitation et une pression citoyenne. Tout comme en Occident, notre continent a toutes les chances pour amener ces outils à s’imposer et à peser sur la marche de la démocratie. Dans ce sens, des plateformes anglophones sont pionnières et l’Afrique francophone aussi a ses plateformes qui émergent depuis une dizaine d’années maintenant.

Cependant, ces différentes initiatives font toutes face aux mêmes problèmes que celle des autres continents. Il s’agit principalement de l’espoir porté sur ces outils pour changer véritablement les systèmes politiques, de la légitimité et de la portée citoyenne de ces technologies. Le professeur Loic Blondieux résume bien cette problématique, à plusieurs visages, que doivent prendre en charge les Civic techs et qu’il appelle « les dilemmes concrets de la participation » et qui ont pour noms : dilemme de la représentativité, de l’égalité, de l’échelle, de la compétence, du conflit et de la décision ». Selon cet universitaire, c’est à ces conditions que le pari de la légitimité et de la participation peut être joué. Conçus avec l’objectif de passer un jour de la démocratie représentative à la démocratie délégative, les civics techs veulent secouer ce régime politique qui semble partout souffrir de la légitimité de son personnel politique, du coup de ses gouvernements et l’un des symptômes de cette crise est le déficit de participation des citoyens dans les activités politiques.

Ce qui, par principe, remet en cause la notion de démocratie dans son profond. Résilient car « solide » ce système politique a échappé à plusieurs « coups d’Etat », c’est la raison pour laquelle, avec les technologies numériques, le rêve d’en faire une « démocratie liquide » est nourri. Dans les perspectives de ce projet nouveau de renouvellement de ce système, de la participation directe des citoyens, il faut aussi compter la bonne place accordée aux experts, à ceux là qui ont des connaissances fines sur des questions discutées pour éclairer la lanterne des citoyens avec la possibilité de porter leurs voix pour décider à leur place d’ou la mention de la notion de délégation.

Pour le cas du Sénégal, la plateforme Sunu2012 initiée par l’activiste Cheikh FALL et une équipe autour de lui avait comme ambition de permettre aux citoyens et journalistes de vérifier les « fake news », la possibilité d’archivage que donne le web, la plateforme présentait le profil sous forme de fiche de candidat déclarés à la présidentielle de 2012 avec les rubriques suivantes : présentation du candidat, programme, agenda électoral, bulletin de vote, vidéos et commentaires. La connexion du candidat sur la plateforme était signalée par une fonctionnalité. La rubrique « Commentaire » donnait la possibilité aux citoyens d’exprimer leurs opinions sur toutes les questions relatives à la vie politique du candidat en général et en particulier sur son programme politique. C’est la quintessence de l’intervention de l’initiateur présentant la plateforme à un public à l’occasion d’une rencontre.

Alors de 2010, année à laquelle, la plateforme commençait à être présentée au grand public à 2012, et le jour du scrutin, la plateforme Sunu2012 s’engage à surveiller le processus électoral en récoltant les informations sur les dépouillements des bulletins en envoyant et en collaborant avec des citoyens volontaires présents au niveau des centres de vote munis de leurs « téléphones portables ». Ces volontaires « observateurs » ou « surveillants » étaient assistés par des informaticiens restés au « QG » qui faisaient, séance tenante le calcul dont les résultats étaient diffusés en direct sur la plateforme, partageaient par internautes les résultats à travers le web et repris par une chaîne de télévision privée « 2STV ».

C’est ainsi que vers vingt et une heures (21), heures, la chaîne de télévision annonçait les tendances lourdes qui donnaient une certaine avance à l’actuelle Chef de l’Etat sénégalais devant le candidat sortant. Le deuxième tour redoutable au président sortant s’annonçait et les populations étaient déjà sur la rue entrain de célébrer la « première victoire » du candidat qui avait une avance sur le sortant.
Aujourd’hui, le Sénégal compte plusieurs plateformes parmi lesquelles, nous pouvons citer :
www.senevote.com, www.leyenarriste.org, #Sunu2012, wwww.mackymetre.com, www.jubanti.com, www.thinktank-ipod.org, www.samabaat.com, www.ruepublique.net, agoravox (

Comme vous pourrez le constater certaines plateformes sont en cours de constructions, d’autres semblent disparaître faute de renouvellement de l’hébergement. Il faut remarquer que la plateforme www.mackymetre.com, se présente comme l’une des plus achevées en terme technique, de consistance de contenu, de performance, d’informations et de mises à jour. Dans le monde francophone, la plateforme de la ligue des blogueurs et cyber-activistes africains pour la démocratie (www.africivistes.org) regroupe les acteurs et sa plateforme permet de maitriser leur cartographie. Dans l’Afrique anglophone, (www.codeofafrica.org) regroupe neuf pays anglophones et collabore avec quinze autres dont certains utilisent la langue française à l’exemple du Cameroum.

L’une des contraintes majeures de ces plateformes pour une participation effective au débat public est le déficit d’informations sur les politiques publiques. Même s’ils existent, les sites web des ministères en général ne sont pas régulièrement mis à jour. D’où le plaidoyer engagé pour l’élaboration et le vote d’une loi sur l’information publique qui permettrait un accès plus facile des citoyens aux données publiques car sans informations disponible, le débat public n’est pas possible. Au delà de cette question nationale, le Sénégal s’est engagé dans un programme avec une ambition mondiale du nom de Partenariat pour un Gouvernement Ouvert dont les critères suivant une méthodologie établie et un score rendent éligible le pays :
transparence budgétaire et fiscale : mise à disposition du public et mise à jour régulière des documents fondamentaux relatifs à la dépense publique
accès à l’information
divulgation du revenu et des avoirs des élus et responsables publics
participation et engagement des citoyens dans l’action publique

La volonté politique qui semblent s’afficher pour intégrer ce partenariat peut amener le Sénégal à faire des efforts remarquables dans ce sens.

Au Sénégal, site webs, applications web, Blogs, Hastag, pages, groupes, profils sur Facebook exclusivement dédiés à l’expression d’engagement citoyen et politique. Parmi les outils et les procédés, il faut souligner qu’en plus des sites web, les réseaux sociaux sont les outils par excellence où les débats citoyens en général et politiques en particulier sont très développés.

Ainsi, à l’instar de l’Afrique de l’Ouest, le réseau social Facebook est cité en premier parmi les lieux d’expression citoyenne.
Au delà ce tour du monde, l’un des objectifs de cet article est de mettre le doigt sur l’écart qui existe entre les développeurs web et les citoyens militants qui se ne retrouvent pas pour mettre en place des plateformes citoyennes techniquement performantes et qui sont spécialisées sur des thèmes, des questions citoyennes ou politiques précises avec une équipe de management organisée qui assure le suivi des questions ou qui sont résolus à obtenir des résultats de leur combat citoyen.

En passant à la loupe les quelques plateformes citoyennes du Sénégal, il faut déjà constater qu’elles ne sont pas nombreuses malgré que notre pays soit pionnier de ces initiatives en Afrique francophone avec l’expérience historique et réussie de Sunu2012. Ensuite, les plateformes existantes ne sont pas spécialisées en général sur une question qui épouse un segment de notre système politique. Les plateformes existantes sont généralistes pour la plupart.

Cette démarche a une faiblesse qui est relative aux multiples secteurs et institutions politiques qu’elle veut embrasser. Pour réussir dans ce cadre, il faut une équipe mobilisée avec des compétences techniques et politiques pointues pour alimenter les plateformes avec des informations consistantes. Malheureusement, ces conditions ne semblent pas réunies pour que plateformes sénégalaises atteignent un certain niveau de performance, condition fondamentale pour atteindre des objectifs politiques. Il semble qu’à l’exception de la reprise des plateformes qui permettent de générer des pétitions en lignes, les autres plateformes fonctionnent comme un site web.

Il faut également signaler la question du financement de ces plateformes qui peut expliquer non seulement le déficit de performance politique car les gestionnaires sont souvent des bénévoles qui donnent leurs services comme une contribution personnelle citoyenne. Ainsi, question fondamentale pour l’avenir des civic techs au Sénégal, le financement doit occuper une place importante dans la réflexion sur l’avenir des plateformes militantes.

Les fondations au Sénégal comme ailleurs participent au financement de ces initiatives mai il n’existe pas encore une fondation qui travaillent exclusivement dans ce sens et compte tenu de l’état des lieux, un business modèle ne semble pas encore élaboré pour assurer la viabilité de ces plateformes.
Cependant, au delà de la question du financement qui détermine, la « neutralité », l’autonomie et la liberté des militants, il faut noter qu’une équipe de techniciens sans compétences ou connaissances avérées en politique, ne peut pas alimenter une plateforme citoyenne sur certaines questions majeures de notre système politique. Sans confirmer ou infirmer ou engager le débat ou la problématique du « citoyen incompétent » sur les questions de politiques publiques qui exigent des connaissances ou des expériences solides, pour en débattre ou être à mesure de faire des propositions consistantes et pertinentes, je relève seulement que la compétence politique a sa place dans l’animation de ces plateformes.

En abordant cette question, l’on peut s’interroger sur les motifs qui peuvent expliquer la méconnaissance et le déficit de visite de ces plateformes par les citoyens. Cet avis est celui même des initiateurs qui surveillent le trafic. A ceux deux faiblesses, il faut opposer l’audience des sites web d’informations générales avec des analystes politiques chevronnés ou des profils, des pages ou communautés dans les réseaux sociaux. C’est l’observation de ces faiblesses qui nous amène à conclure qu’en ce qui nous concerne les civic techs au Sénégal, la compétence technique et la compétence politique ne se conjuguent pas dans une certaine mesure.

Si l’objectif des civic techs est de changer le système politique, il faut avoir une bonne connaissance dudit système pour toucher ses pans qui peuvent avoir sectoriellement ou globalement un impact sur la vie politique nationale.
A l’exception de la performance de la plateforme Sunu2012 à l’élection présidentielle de 2012 qui a permis aux internautes, aux médias et à l’opinion publique d’être informés, quelques heures après le dépouillement des bulletins de vote des tendances lourdes des résultats et la pression de la société civile sur le gouvernement principalement portée par le Mouvement Y en a Marre qui a amené l’Etat du Sénégal à suspendre la construction de l’ambassade de la Turquie sur la Corniche Ouest de Dakar, les autres victoire des civic techs au Sénégal sont en attente pour s’inscrire sur l’annale du militantisme dans les réseaux numériques.

Si c’est trop demandé aux Civic techs de s’attendre à des résultats immédiats et d’une grande ampleur, la Fondation américaine Knight propose un certain nombre de critères pour mesurer l’impact de ces technologies numériques et elle rappelle leurs objectifs principaux littéralement traduits de l’Anglais. Il s’agit de:
Construire un capital social basé sur le lieu
Augmenter l’engagement civique
Promouvoir la démocratie délibérative
Soutenir une gouvernance ouverte
Favoriser l’inclusion et la diversité

C’ainsi, qu’au delà de la pratique au Sénégal, pour engager une réflexion qui réunit les universitaires et les acteurs, ONUMERIS (Observatoire des Usages Numériques du Sénégal) avec le Groupe de Recherche et d’Analyse des Discours Sociaux (GRADIS) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis organisent un panel au premier trimestre de 2018 sur « L’Etat sénégalais face à l’émergence des civic techs » un autre grand rendez-vous est prévu en avril 2018. Il s’agit du premier forum national à Dakar sur « Les Civic techs au Sénégal ». Il va réunir, des activistes, des universitaires, des journalistes, des développeurs, des mouvements citoyens, des organisations de la société civile, des experts des questions relatives au thème général et des étudiants.

Fernand Nino MENDY
E-mail : ninomendy777@gmail.com
ONUMERIS (Observatoire des Usages Numériques du Sénégal)