mardi, décembre 3, 2024

L’éducation scientifique, mythe ou nécessité?

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J’ai eu l’opportunité de visiter un grand pays industrialisé qu’est le japon. Pays doté d’un système éducatif performant. Des universités particulièrement structurées et bien gérées. Celle de Naruto dans laquelle j’ai séjourné grâce au Premst -Programme de renforcement de l’Enseignement des mathématiques, des sciences et de la technologie-, c’est là que j’ai pu mesurer à sa juste valeur, l’importance des sciences et techniques dans le développement d’un pays.

Aussi, notre éducation pour les deux décennies à venir -puisque nous travaillons désormais pour cette échéance- n’est plus seulement «apprendre à lire, à écrire et à compter» ! Ces finalités, maintes fois répétées, depuis l’indépendance, si elles demeurent toujours indispensables, apparaissent désormais nettement insuffisantes.

Les sciences et les techniques font désormais partie de notre univers culturel. Une culture pour l’avenir doit donc pouvoir répondre à l’accélération récente des savoirs, aux mutations technologiques en cours, et surtout à leur impact, sur les individus et la société. Elle requiert, dans tous les cas, un optimum de savoirs scientifiques et technologiques qui ne peuvent procéder que de l’éducation scientifique.

Je ne pense pas qu’il y ait un acte de la vie quotidienne qui ne renvoie à des développements scientifiques ou techniques. Notre environnement quotidien comparé à celui du siècle passé, correspond à un monde totalement original, qui a connu une évolution extrêmement rapide, dans laquelle sciences et techniques jouent un rôle essentiel.

Il ne s’agit pas seulement des événements spectaculaires -l’énergie nucléaire, les manifestations génétiques ou le clonage des mammifères-. Il s’agit plutôt des multiples innovations auxquelles nous avons été con¬frontés ces vingt dernières an¬nées : l’informatique, la télématique, la robotique ont révolutionné le monde de l’entreprise.

L’ordinateur individuel, le téléphone portable, les réseaux sociaux, Internet, le train à grande vitesse, etc. ont bouleversé la vie personnelle et sociale. Certaines innovations initiées par les sciences et les techniques pénètrent parfois même jusque dans notre plus stricte intimité. La pilule et aujourd’hui la micropilule, ont aussi fait évoluer nos pratiques sexuelles…

Le four à micro-ondes, le congélateur, les aliments préparés et survitaminés ont largement modifié notre alimentation.
Pour faire face aux nouvelles structures de production et aux nouveaux services, les emplois nécessitent aussi de plus en plus de compétences et de qualifications spécifiques, où savoir et savoir-faire scientifiques et technologiques tiennent une place centrale.

Toutefois, de telles connaissances ne sont pas seulement nécessaires pour des professions strictement scientifiques, comme celles de chercheurs, d’ingénieurs, de médecin ou de technicien. Un agriculteur doit être au fait des divers produits chimiques qu’il déverse sur ses cultures. Des professions à priori très éloignées des sciences, comme celle d’avocat, se trouvent également concernées.
L’homme de Loi-juge, policiers ou gendarmes- est de plus en plus souvent sollicité pour des affaires où interviennent des conformités technologiques.

Mais le domaine professionnel n’est plus le seul à exiger une maîtrise des savoirs scientifiques et techniques. Tous les individus sont désormais concernés pour des raisons parfois graves, de survie immédiate. Par exemple, chacun se trouve directement confronté aux problèmes d’environnement qui mettent, à moyen terme, l’humanité en danger : dégradation des milieux de vie, notamment les pollutions, l’effet de serre ou le trou dans la couche d’ozone, l’usage du nucléaire, pour ne citer que ça.

En outre, un autre rapport à la santé et aux soins est à valoriser. En effet, de nouvelles épidémies, difficiles à combattre, sévissent actuellement, comme le Sida, l’hépatite B ou celle liée au virus Ebola ou récemment au Covid-19. Il en est de même pour l’usage immodéré des antibiotiques. La tuberculose, que l’on pensait vaincue, redevient une maladie extrêmement difficile à soigner.

Par ailleurs, les parlementaires sont aussi démunis que le simple citoyen pour faire face aux questions liées au développement scientifique et technologique. Il nous faut vivre autrement qu’en aveugles face aux défis d’aujourd’hui. Une démocratie digne de ce nom exige que ses citoyens aient accès à un «certain niveau de savoir» pourvu bien sûr que la scolarisation universelle soit assurée.
L’éducation, la médiation scientifique et technique ont une grande responsabilité dans notre vision du monde, de notre imaginaire. Une civilisation ne fonctionne que par rapport à ce qu’elle croit et aux principes d’action qu’elle se donne. Le bon fonctionnement de la démocratie exige des citoyens d’être au fait des grands apports des sciences et des technologies.

Dès lors, quelle éducation scientifique envisager ? Nous vivons dans un monde «hyper-scientifique» et surtout «hyper-technicisé» qui doit à mon sens préoccuper au plus haut point, nos gouvernants, sous l’angle éducatif tout au moins.

Les sciences et les technologies constituent un moyen privilégié pour relever les défis d’une société en mutation. Pour jouer ce rôle déterminant, l’esprit scientifique doit être partagé au plus tôt, en l’occurrence dès l’école maternelle. Faire manipuler à des enfants de cet âge, des objets qui «coulent», qui «flottent» est déjà une propédeutique au fameux principe d’Archimède, hautement scientifique.

A ce niveau et même au-delà -le cycle fondamental dans son ensemble-, il s’agit en priorité de valoriser l’acquisition d’une attitude où l’étonnement, la confiance en soi et l’esprit critique sont mis en avant. Cette démarche doit s’inscrire dans un processus d’élaboration de savoirs où le questionnement est toujours prioritaire.

De plus, ces savoirs doivent en permanence être opératoires, c’est-à-dire «mobilisables», applicables aux situations réelles que vit l’enfant. D’où la nécessité de lieux, de pratiques et de moments où l’élève à la possibilité d’élaborer par lui-même des connaissances.

De ce point de vue, l’enseignement actuel est-il une impasse ? Apparemment oui ! Comment s’en sortir ? Depuis une quinzaine d’années, des innovations ont été développées avec l’appui de la coopération internationale – Projet de renforcement de l’enseignement des sciences, des mathématiques et de la technologie (Premst) du Japon et la Main à la pâte (Map) de la France avec Georges Charpak.

Malheureusement, ces expériences restées insolées, surtout non évaluées, encore moins capitalisées ; une grande partie de leurs apports a donc été perdue. Et bien que ces expériences aient fait l’objet de nombreuses publications tant par les équipes régionales que nationales, elles n’ont pas entretenu l’espoir initial.

Heureusement, un nouveau champ de recherche intitulé «didactique des sciences» se met de plus en plus en place sur le plan international et le Sénégal n’est tout de même pas en reste malgré la tendance des élèves et étudiants vers les études littéraires.

C’est ainsi que la construction des curricula a réservé une place importante aux «sciences» ; aux «activités d’éveil» ou à l’environnement à l’école élémentaire. Parmi les différentes composantes du curriculum avec l’approche par les compétences et la pédagogie de l’intégration, on note notamment dans le sous domaine : «Découverte du monde», l’activité 3 est essentiellement consacrée à l’initiation scientifique et technologique (I.S.T). Activité d’une importance capitale quant à l’éveil et à l’ouverture de l’esprit de l’enfant, à la science, mais malheureusement mal enseignée. J’ai pu observer, en classe, des séances particulièrement aériennes, abstraites, ne se fondant sur aucun matériel concret tiré du milieu de l’enfant. Il va sans dire, qu’une telle manière de faire défie de façon obstinée les objectifs de cet enseignement. Bon nombre d’enseignants ne savent pas et de surcroit mal encadrés.

C’est justement pour redresser ces pratiques lacunaires parce qu’abstraites, que l’opération «la main à la pâte» a été initiée. Elle mettait essentiellement l’accent sur le fait que  «les enfants observent un objet ou un phénomène du monde réel, proche et sensible et expérimentent sur lui. Au cours de leurs investigations, les enfants argumentent et raisonnent, mettent en commun et discutent leurs idées et leurs résultats, construisent leurs connaissances, une activité purement manuelle ne suffisant pas», extrait des dix principes de l’opération «La main à la pâte», 1998.

Ainsi donc, les activités proposées aux élèves par le maître sont organisées en séquences en vue d’une progression des apprentissages en I.S.T. Elles relèvent du curriculum et laissant une large part à l’autonomie des élèves.

Un volume minimum de deux heures par semaine est consacré à un ou deux thèmes pendant plusieurs semaines. Une continuité des activités et des méthodes pédagogiques est assurée sur l’ensemble de la scolarité.
Aussi, les enfants doivent-ils tenir chacun un cahier d’expériences avec leurs mots et leurs dessins à eux. L’objet majeur est une appropriation progressive, par les élèves, de concepts scientifiques et techniques opératoires, accompagnée d’une consolidation de l’expression écrite et orale.

Ces directions de travail indiquées convergent totalement avec les récents travaux des didacticiens ; ce qui crée une certaine synergie indispensable au succès de ces activités à caractère scientifique. Cette initiation dès le jeune âge – maternel et élémentaire- constitue une réelle chance pour favoriser le développement d’une éducation scientifique à l’échelle de notre beau pays pourvu que les enfants soient confiés à des enseignants motivés et compétents.

Yakhya Diouf
Inspecteur de l’enseignement élémentaire à la retraite